Yan Solo lutta contre l’envie d’essuyer une goutte de sueur sur son front. Ce geste serait interprété comme un signe de nervosité, et il donnerait aux autres une idée de la valeur des cartes qu’il tenait.

— Alors, Solo, tu te décides ?

Pour la deuxième fois en deux minutes, Yan tenta de gagner du temps.

— Voyons si j’ai bien compris… Vous en avez eu assez d’utiliser les nombres entiers, ou simplement les nombres réels, mais voilà que vous voulez aussi traficoter avec les nombres imaginaires et transréels !

Le chasseur de primes Ruurien, encore au stade larvaire, ricana.

— Et ça te pose un problème ?

— Pas le moins du monde !

— Alors, pressons !

Yan esquissa un sourire. Ses adversaires perdaient patience. Ça pouvait lui servir…

— Vous avez bien dit que nous pouvions utiliser toutes les opérations arithmétiques voulues : division, soustraction, multiplication…

— Je comprends ton petit jeu, grogna un Givin hargneux, sa mâchoire squelettique claquant d’impatience contre sa « lèvre » supérieure. Tu ne peux pas nous bluffer, Solo.

Connaissant la prédilection de son espèce pour les mathématiques, Yan supposait que c’était le Givin qui avait changé les règles du jeu.

— Peut-être le grand Solo a-t-il perdu sa supériorité, dit le quatrième joueur, Talien.

Ce Yarkora avait des anneaux pendus à ses énormes narines.

Yan regarda les puces-cartes qu’il tenait.

— Ou peut-être mes maths sont-elles un peu rouillées…

Il posa les cartes sur la table, résigné à gagner la partie de sabacc la plus bizarre qu’il ait jamais jouée. Les trois puces 3v23 qu’il avait reçues à la dernière donne montrèrent les bâtons, les coupes et les deniers. Il avait rudement bien fait de se débarrasser de l’idiot et de se fier à sa chance !

— Regardez et pleurez, les gars, dit-il.

— Un sabacc cubique ? fit le Ruurien, ses yeux rouges étincelant de colère dans la lumière enfumée du bar. Impossible !

— Pas impossible, commenta le Givin, seulement extrêmement improbable.

— Solo, si tu essaies de nous flouer…, commença le Yarkora.

Yan se leva d’un bond et agita un doigt sous le nez démesuré de l’extraterrestre.

— Tu m’as scanné quand je suis entré. Si j’avais eu un skifter sur moi, tu l’aurais trouvé.

— Skifter ou pas, Solo, grinça le Givin, il est quand même plus sûr de se fier à la nature humaine qu’à ton genre de veine !

— Ça suffit, Ren. Selon toi, j’aurais triché à un jeu dont j’ignorais jusqu’à l’existence il y a deux jours, quand j’ai débarqué ici ? (Yan ricana.) Tu me surestimes, mon cher, en m’accordant plus de crédit que je n’en mérite !

— Et ce sont les seuls crédits que tu toucheras ! marmonna le Ruurien en tendant un de ses multiples bras pour ramasser les puces.

Yan saisit la jonction, entre les deux segments supérieurs du corps de la créature, et la tordit – pas assez fort pour la blesser, mais suffisamment pour la faire réfléchir.

— Touche à mes gains, et tu verras si j’ai perdu ma supériorité !

Les deux autres joueurs reculèrent. Des cris éclatèrent dans une dizaine de langues. Le Joe l’Epine avait une politique stricte : pas d’armes à l’intérieur. Mais même à mains nues, les rixes pouvaient toujours être mortelles. Et, de l’avis des clients du Joe l’Epine, plus une altercation était violente, plus ils s’amusaient.

— Transporteur de bouse surévalué ! grogna le Ruurien en se tortillant pour essayer de se dégager.

— Qui traites-tu de « surévalué » ? bougonna Yan en resserrant sa prise sur les segments supérieurs du corps du Ruurien.

Moins lourd que Yan, l’extraterrestre était capable de se plier à des endroits invraisemblables. Le Ruurien fit passer son extrémité postérieure sous la table et déséquilibra Solo. Une dizaine de doigts aux bouts coupants cherchèrent les zones les plus tendres de sa poitrine et de ses jambes, et de minuscules mandibules claquèrent non loin de son nez.

Le public poussa des cris d’allégresse.

Au moment où il se disait qu’il avait affaire à forte partie, deux mains à trois doigts les saisirent, le Ruurien et lui, les soulevèrent et les séparèrent.

— Ça suffit !

Yan reconnut la voix gutturale : elle appartenait à un Whiphid. Il cessa de se débattre. Les Whiphids étaient d’un tempérament difficile, et leurs griffes, comme leurs défenses, n’étaient pas de la rigolade.

— C’est un tricheur ! glapit le Ruurien.

Le Whiphid le secoua si fort que son exosquelette cliqueta.

— Ce bar n’est pas un repaire de truands !

— C’est ce que j’essayais de leur dire, lança Yan avec un sourire satisfait. Je les ai battus loyalement.

Le Whiphid les laissa tomber tous les deux sans ménagement. Puis il pointa une griffe sur Solo.

— Le patron veut vous voir.

Yan sentit une légère incertitude l’envahir.

— Pas avant que j’aie récupéré mes gains.

— Vous avez cinq secondes, répondit le videur.

Yan en utilisa seulement deux : sous l’œil sinistre du Ruurien, il fit glisser les crédits au creux de sa chemise tendue.

— Tu sais, Talien, des types comme toi donnent au sabacc mauvaise réputation, dit-il. De mon temps…

— Epargne-nous les récits sur le bon vieux temps, coupa Talien. Garde-les pour tes gamins. Eux, ça les impressionnera peut-être…

— Espèce de sale… !

Avant qu’il puisse réagir, le videur l’eut soulevé par le dos de sa jaquette et l’emporta.

— J’ai dit que ça suffisait ! Il faut toujours que les humains foutent le bazar partout où ils passent ! grommela le Whiphid, excédé.

Ainsi « escorté », Yan passa une porte, à l’arrière du Joe l’Epine.

— Si on me donnait un crédit pour chaque humain que j’ai vidé d’ici, j’aurais pu rentrer à Toola il y a des années !

— Vous voyez beaucoup d’étrangers, ici ? demanda Yan.

Le Whiphid lui jeta un regard soupçonneux.

— Pourquoi ? Vous cherchez quelqu’un ?

— Non. Je suis seulement curieux.

Le Whiphid l’entraîna en haut d’une volée de marches, et le poussa dans une pièce contenant un canapé vert et un distributeur d’eau. Yan supposa que c’était une antichambre attenante au bureau du patron du bar. Il s’assit sur le canapé, et sursauta quand une voix sortit de haut-parleurs invisibles.

— Yan Solo, hein ? fit une voix déformée. Vous êtes bien loin de chez vous…

— Ma foi, vous me connaissez, répondit Yan. L’inactivité, très peu pour moi !

Un bruit bizarre sortit du haut-parleur, un rire, peut-être.

— Mais vous adorez jouer. Agréable de voir que vous n’avez pas changé !

Yan fronça les sourcils. Qui, parmi ses anciennes connaissances, pouvait être devenu tenancier de bar sur Onadax, un des mondes les plus minables de l’Amas de Minos ? Il – ou elle – avait-il une dent contre lui ?

— On s’amuse comme on peut…

— J’aimerais vous poser quelques questions, si vous le permettez.

Solo haussa les épaules, feignant la nonchalance.

— Allez-y.

— Qui vous envoie ?

— Personne.

— Pourquoi êtes-vous ici ?

— Je ne fais que passer. C’est un crime ?

— Où allez-vous ?

— A Nelfrus, dans le secteur d’Elrood.

— Un long détour, dans ce cas.

— On n’est jamais trop prudent, de nos jours. Les Vong…

— … Sont partout, je sais. Mais pas ici.

— Voilà pourquoi j’ai préféré cet itinéraire.

— Vous êtes venu seul ?

— Quelle différence ça fait ?

— Aucune, peut-être… Le Faucon Millenium est sur Onadax depuis deux jours. Un de plus qu’une frégate de l’Alliance Galactique, qui a fait escale hier. Dois-je supposer qu’il n’existe aucun lien entre ce vaisseau et le vôtre ?

— Supposez ce que vous voudrez. Cette frégate n’a rien à voir avec moi. Quel nom avez-vous dit, déjà ?

— Je ne l’ai pas dit. C’est le Fierté de Sélonia.

Il fit mine de réfléchir.

— Ça me dit quelque chose… Quelqu’un me chercherait, vous pensez ?

— Ou vous cherchez quelqu’un.

— J’étais seulement venu admirer le paysage… (Solo agita les crédits, dans sa poche.) Et ramasser ce que je peux dans la foulée.

Le tenancier anonyme éclata de rire. Onadax était un monde minable trop peu dense pour contenir des métaux de valeur, mal situé dans la galaxie, trop petit et trop vieux pour avoir des sites géographiques d’un quelconque intérêt. Son seul avantage ? L’absence d’autorité policière et une attitude détendue devant les informations de toutes sortes.

Pourtant, même si le gouvernement fermait volontiers les yeux sur les trafics en tout genre, les habitants n’étaient pas stupides pour autant.

— D’accord, dit Yan. Cessons de jouer au plus fin. Vrai : je cherche quelqu’un. Peut-être pouvez-vous m’aider.

— Pourquoi ?

— Parce que je vous le demande gentiment. Beaucoup de Ryns transitent par ici ?

— Pas plus qu’ailleurs. Soulevez n’importe quel rocher pouilleux, dans la galaxie, et vous en trouverez toujours dessous. Si vous en êtes à chercher des Ryns, vous voilà tombé bien bas !

— Il ne s’agit pas de n’importe qui, affirma Yan. (Comment décrire celui qu’il cherchait ?) Il était censé me retrouver ici, sur Onadax… Il ne s’est pas montré. Je le cherche.

— Dans un bar ?

— Qu’y a-t-il d’autre, sur Onadax ?

Son interlocuteur invisible gloussa de rire.

— Vous cherchez au mauvais endroit, Solo.

— Cessez de me snober ! Je n’ai pas de mauvaises intentions.

— Venant de vous, ces mots ont une saveur particulière !

— Je suis prêt à payer, si c’est ce que vous voulez.

— Si vous croyez ça de moi, vous êtes vraiment au mauvais endroit – et au mauvais moment.

Le Whiphid s’agita nerveusement.

— On dirait…, fit Yan. Ecoutez, je me creuse la cervelle pour savoir où nous nous sommes déjà rencontrés. Pourriez-vous me donner un nom, juste pour m’aider un peu ?

Pas de réponse.

— Qu’avez-vous à perdre ? Il est clair que vous me connaissez…

La main griffue du Whiphid le saisit par le col et l’entraîna.

— Donnez-moi au moins un indice !

Le Whiphid le ramena dans la salle.

Entretien clos. Inutile de protester.

— Il est toujours aussi amical ? demanda-t-il au videur. Elle ? ajouta-t-il quand le Whiphid ne répondit pas.

Celui-ci souleva de nouveau Yan du sol et l’emmena à travers la foule. Des cris et des applaudissements retentirent sur leur passage.

— Mon siège était par là, dit Yan, désignant la table de sabacc où il avait joué plus tôt.

Le Whiphid le déposa sans douceur devant la porte.

Un message très clair : on lui intimait de dégager.

Solo sourit, prit une puce de cent crédits dans sa poche et la donna au videur.

— Pour votre dérangement…

— Pour le vôtre, répliqua l’extraterrestre du tac au tac, en le projetant dans la rue.

— C’est un vrai bouge, cet établissement ! cria Solo.

Il se releva et s’épousseta. Il avait l’épaule endolorie après son contact brutal avec le sol, et les griffes du videur avaient déchiré sa veste. Mais ça aurait pu être pire. Au moins, il s’en était sorti avec ses gains !

Son comlink sonna pendant qu’il boitillait le long de l’allée minable où se dressait le Joe l’Epine. Il sortit le comlink, sûr qu’il s’agissait de Leia.

— Tu es dehors ? demanda-t-elle, inquiète.

— Oui, et en un seul morceau ! Les employés du bar n’étaient pas aussi durs que le champ de brouillage le suggérait.

— Tu as du nouveau ?

— Rien d’utile, même si je pense qu’il se passe plus de choses qu’il ne semble à première vue.

— Comme toujours… (Leia hésita.) C’est une bagarre que j’entends ?

Yan regarda derrière lui. Dans le bar, le chahut augmentait régulièrement.

— Ma sortie n’a pas été… subtile, admit-il en pressant le pas.

— Reviens au plus vite. Les rues ne sont pas sûres, Yan.

— J’arrive.

— Et ne t’arrête pas en route, même sous prétexte de détourner les soupçons !

Yan sourit. Par le passé, il aurait été tenté. Mais choisir entre Leia et un bouge minable devenait de plus en plus facile, avec le temps.

— D’accord.

La fréquence sécurisée coupée, le sourire de Yan s’effaça quand il entendit les belligérants du bar sortir dans la rue… Il se dépêcha de se perdre dans le flot de fêtards, se demandant toujours pourquoi l’inconnu l’avait questionné. Que le tenancier l’ait côtoyé jadis ne l’inquiétait pas outre mesure : le nom de Solo était connu dans toute la galaxie, surtout dans les cercles louches où il avait gravité. Mais le silence volontaire sur le Ryn cachait autre chose. Ses autres sources ne savaient rien, et elles le lui avaient dit sans hésiter. Mais là, on lui cachait des informations.

Se massant l’épaule, Solo se hâta de retourner au Faucon en espérant que Jaina, à l’autre bout de la ville, avait eu plus de chance.

 

Luke Skywalker saisit les accoudoirs de son siège quand l’Ombre de Jade émergea brutalement de l’hyperespace. Les parois gémirent sous le stress, et des conteneurs de marchandises stockés dans la baie des passagers s’écrasèrent sur le sol. Plus loin dans le vaisseau, il entendit les bips anxieux de R2-D2.

— C’était quoi ? demanda-t-il à son épouse.

Mara vérifiait les moniteurs.

— Un trou de la taille d’un destroyer stellaire s’est ouvert brutalement devant nous, expliqua-t-elle.

Tous les sauts hyperspatiaux exécutés au cours des deux dernières semaines avaient été dangereux. Même les cartes détaillées remises par la Flotte Chiss ne recensaient pas toutes les anomalies hyperspatiales. Mais si quelqu’un pouvait se guider à travers ce dédale, c’était Mara. Luke avait confiance en elle : ils arriveraient à bon port.

Il examina les écrans.

— Espérons que le Faiseur de Veuves est intact.

Un nouveau bip apparut sur l’écran.

— Le voilà, dit Mara.

Un instant après, la voix de la capitaine Arien Yage retentit sur l’unité com.

— Et si vous nous préveniez, la prochaine fois ?

Luke sourit.

— Désolé, Arien. Si nous avions pu, nous l’aurions fait.

Verrouillée sur le navi-ordinateur de l’Ombre de Jade, la frégate suivait tous les mouvements de Mara. Mais il n’y avait aucun moyen de communiquer dans l’hyperespace, et donc de prévenir d’une sortie soudaine.

— Ça commence à devenir ennuyeux, marmonna Mara, après avoir vérifié les paramètres. Je n’arrive pas à déterminer ce que je fais de travers.

Luke était tout aussi étonné. A trois reprises, ils avaient tenté de franchir en hyperdrive le dernier parsec conduisant au système désert de Klasse Ephemora. Trois échecs… Jacen avait déterminé que le monde vivant, Zonama Sekot, y gravitait. Et Luke avait le sentiment qu’une force inconnue les empêchait d’y accéder. Mara assurait que non : les anomalies hyperspatiales étaient un phénomène naturel.

Pourtant, qu’il y en ait autant autour de ce secteur particulier était pour le moins bizarre.

— C’est peut-être à cause des anomalies que Zonama Sekot est venue là, suggéra Luke. Elle s’y sent en sécurité.

Y étant entrée, elle pouvait être à peu près sûre que personne d’autre ne s’y introduirait.

— Les sondes des Chiss l’ont fait, répondit Mara. Alors, je le peux aussi !

Luke lui envoya une vague de réconfort, afin de soutenir une confiance qu’il sentait vacillante sous la détermination apparente de sa femme. Elle était un bien meilleur navigateur qu’un astromec, et il la savait capable des mêmes prouesses.

— C’est peut-être de la matière noire, dit Soron Hegerty.

Professeur de religions comparées, et spécialiste des cultures extraterrestres, elle était dans la baie des passagers, une main frêle posée sur la verrière pour se stabiliser.

— Vous croyez ? demanda Luke.

— C’est possible, répondit Hegerty. La matière noire influence le reste de l’univers uniquement sur le plan gravifique. Elle s’accumule comme la matière ordinaire, formant des amas et des galaxies similaires à celle que nous habitons. Certains savants pensent que notre galaxie est entourée par un halo de ces galaxies de matière noire – entièrement invisibles, mais qui n’en sont pas moins là.

« Danni et moi en parlions hier. Elle se demande si ces amas invisibles expliquent les perturbations de l’hyperespace dans les Régions Inconnues. Un amas de matière noire pourrait être en train d’entrer en collision avec notre galaxie, de passer au travers, invisible, et détectable seulement par sa gravité. Les amas ne sont pas de densité uniforme : on y trouve des traînées de poussière cosmique, des bulles vides et des étoiles, bien entendu. La distribution irrégulière de la matière noire expliquerait les difficultés que nous avons eues à cartographier ces régions depuis l’univers “réel”. Tout cela reviendrait donc à une collision avec une galaxie que nous ne pouvons pas voir – et qui durerait des milliards d’années.

Hegerty regarda les écrans, comme émerveillée en pensant aux univers invisibles qu’elle évoquait.

Mara écarta une mèche rousse de son visage.

— Très intéressant. Pouvons-nous établir la carte de cette matière noire et comprendre comment l’hyperespace s’enroule autour ?

— En théorie… Il faudrait un détecteur de gravité à grande échelle, et comprendre exactement comment la matière noire influence l’hyperespace.

— Donc, pour le moment, ça ne nous sert à rien ?

— Exact. Sachez seulement que nous avons affaire à un phénomène variable. Si Zonama Sekot peut détecter le passage gravifique de la matière noire à travers notre galaxie, elle peut aussi avoir localisé une bulle sur le point de se fermer. Si elle s’y est glissée, les « cloisons » de matière noire se refermant sur elle, elle est en sécurité. Rien d’autre n’y entrera avant que la matière noire ne se déplace et que la bulle ne se rouvre.

A en juger par son expression, Mara détestait cette éventualité.

— Si vous avez raison, cette bulle doit être assez grande pour englober un système stellaire entier. Je doute qu’un phénomène aussi grand soit hermétique. Il doit y avoir un moyen d’y entrer – et d’en sortir. Si j’étais une planète vivante en fuite, je ne m’enfermerais pas dans un endroit sans issue. Il doit y avoir un moyen.

Luke posa une main sur le bras de sa femme.

— Je te suggère de te reposer un peu, mon amour. Tu n’arriveras à rien, dans cet état de frustration.

Mara parut sur le point de protester, puis elle se radoucit.

— Tu as raison. Mais j’ai tellement hâte de progresser ! Plus tôt nous trouverons Zonama Sekot, plus vite nous rentrerons chez nous.

Luke comprenait les sentiments de son épouse. Ben, leur fils, était loin d’eux, caché dans la Gueule avec les autres enfants Jedi, à l’abri des Yuuzhan Vong. Et il grandissait sans ses parents, comme Luke avait grandi sans les siens.

Une fâcheuse nécessité.

Avec l’approbation de Mara, il ordonna une halte.

 

Assis à côté du lit, Jag Fel regardait curieusement Tahiri. Il épongeait fréquemment le front lustré de sueur de la jeune femme. Les mains serrant le drap, elle lâchait parfois des petits cris rauques – presque des hurlements réprimés.

Jaina avait demandé qu’il y ait toujours quelqu’un au chevet de Tahiri, au cas où elle se réveillerait. Et c’était le tour de Jag. Il redoutait qu’elle rouvre les yeux pendant sa veillée – car si Riina émergeait, il ferait le nécessaire au nom de la sécurité de tous.

Jag fut tiré de ses sombres pensées par le bourdonnement de son comlink. La capitaine Mayn, du Sélonia, avait installé une unité de communication compacte dans la chambre de Tahiri, pour que le « veilleur » ne soit pas coupé du monde.

Il établit la communication, et se trouva au milieu d’une conversation entre Jaina et ses parents.

— Il se passe quelque chose de louche, annonça la jeune femme.

— Au Joe l’Epine ? demanda Yan, à bord du Faucon, l’air un peu essoufflé. C’est aussi mon avis. Ce type à qui j’ai parlé… Il ne mijote rien de bien !

— Ça n’est pas ça, répondit Jaina. Cette histoire de sabacc cubique était invraisemblable. On t’a laissé gagner.

— Et la fameuse chance des Solo ?

— Personne n’a autant de chance. On voulait te mettre hors piste. Faire croire que tu avais triché était plus simple que t’expulser sans raison. C’est la seule explication.

— Possible…, soupira Yan à regret.

— Ça ne nous dit toujours pas qui est derrière tout ça, souligna Leia. Le propriétaire du bar est impliqué, c’est évident. Nous devons y retourner !

— Et toi, Jaina ? Tu as du nouveau ?

— Rien du tout ! Et j’imagine que je ne dénicherai plus rien, maintenant que…

— … Qu’on est repérés, acheva Yan, sinistre.

— Pire. En ville, une rixe semble faire tache d’huile. Il n’y a pas de police, ici. Les problèmes deviennent vite ingérables.

En bruit de fond, Jag captait le fracas d’une bataille.

— Tu es loin du Faucon ? demanda Leia.

— Une dizaine de pâtés de maisons, mais progresser devient difficile. Une minute !

Jag entendit soudain la voix de Mayn.

— La sécurité des quais nous avertit que des émeutiers se rapprochent de nous !

— Une idée de la cause ? demanda Leia.

— Des rumeurs sur un problème, en ville. Un agent de l’Alliance Galactique se serait infiltré dans un bâtiment sécurisé puis enfui avec une petite fortune.

— Nous n’avons aucun agent ici, dit Leia.

— A part nous, ajouta Yan.

— Désolée, fit Jaina, revenant en ligne. Un embouteillage. Le chemin du Faucon est bloqué. J’essaie de rejoindre le Sélonia.

— Dépêche-toi, mais sois prudente, dit Leia, inquiète. On essaie peut-être d’éveiller du ressentiment contre nous.

— Pourquoi ?

— On se le demandera plus tard. Arrive au vaisseau saine et sauve !

Sur ce point, Jag était de tout cœur avec Yan.

— On dirait que quelqu’un essaie de couvrir ses traces, dit-il.

— Je suis d’accord, Jag, fit Yan. Et si Jaina n’était pas au milieu de tout ça, nous les laisserions se débrouiller !

— C’est sans doute ce que nous avons de mieux à faire, approuva Leia. Nous cherchons en vain les Ryns depuis deux jours. Je commence à penser que nous perdons notre temps.

— Je me prépare à décoller, dit Mayn. Dès qu’elle montera à bord, si c’est ce que vous décidez, nous pourrons partir.

— Dois-je préparer Soleils Jumeaux ? demanda Jag.

— Inutile. Si nous en arrivons là, nous nous chargerons des défenses d’Onadax le temps de filer.

— Alors, j’attendrai ici, dit Jag. Merci de me tenir informé.

La fréquence fut coupée.

Jag résista à l’envie de faire les cent pas. Il détestait être confiné à l’infirmerie pendant que Jaina prenait des risques, mais les ordres étaient les ordres. Sa formation chiss ne lui laissait pas le choix. Il lui fallait attendre que Mayn ou quelqu’un d’autre lui fasse part des derniers développements.

Tahiri s’agita, poussant un de ses petits cris étranges.

Dépêche-toi, Jaina, pensa Jag, épongeant le front de la jeune femme.

 

Jacen fronça les sourcils.

— Contrôle des communications de Mon Calamari, ici Fermier Un. Répondez, je vous prie.

Silence.

Pendant que Luke et Mara se reposaient, Jacen était responsable de l’Ombre de Jade. Il avait décidé d’appeler la capitale pour prendre des nouvelles de Ben. L’impossibilité d’établir le contact le troublait, même s’il y avait sans doute une explication logique. Les communications avec les Régions Inconnues n’étaient pas idéales. Toutes passaient par un goulot d’étranglement, près de la Bordure Extérieure. Ce goulot n’avait jamais été fermé, mais était-ce impossible ?

Pourtant, les systèmes com de l’Ombre de Jade étaient en parfait état de fonctionnement, et il avait pu joindre l’espace chiss sans problème.

— Contrôle des communications, ici Fermier Un. Message urgent. Requérons une réponse immédiate.

Silence.

Le problème était probablement dans les relais qui jalonnaient l’espace entre les Régions Inconnues et le reste de la galaxie…

— Quelle est l’urgence ? demanda Danni.

— Nous n’avons plus de lait bleu, mentit Jacen. Tu sais comme Mara devient hargneuse quand elle n’a pas un petit déjeuner adéquat.

— Jacen Solo, tu es un Jedi extraordinaire, mais un piètre menteur !

Il sourit. En dépit des « capacités » que l’enseignement de Vergere lui avait permis de développer, Danni lisait toujours en lui comme à livre ouvert.

— Je n’arrive pas à joindre Mon Calamari. Une rupture des communications…

— De quel genre ?

— Difficile à dire. Mais nous ne pourrons informer personne de ce que nous trouverons ici…

— Si nous dénichons quelque chose. Rien n’est moins sûr, Jacen. Tu as vu les données…

— Je suis d’accord avec toi. J’essaie seulement de t’encourager à débattre de la question…

— Je perçois ta tension, Jacen. Tu bourdonnes comme un bouclier trop chargé ! Qu’arrivera-t-il si nous ne trouvons rien, ou rien qui nous convienne ? C’est le fond de ta pensée, n’est-ce pas ? Et ça t’inquiète.

— Tu as peut-être raison, reconnut-il. En fait, nous ne sommes pas coupés du monde : joindre Csilla reste possible. Je vérifierai si Csilla peut à son tour entrer en contact avec Mon Calamari.

Elle sourit à pleines dents.

— Parfois, il suffit d’énoncer un problème pour le comprendre plus clairement.

Elle voulut lui flanquer une tape rassurante sur l’épaule, mais sa main n’entra pas en contact avec lui. Une force déconcertante émanait de Jacen…

… Qui s’écarta de Danni, pensant que ce qu’il éprouvait avait un lien avec la présence de la jeune femme. Mais la sensation persista, et l’expression de Danni refléta son inquiétude.

— Tu le perçois, toi aussi ?

Relayée par la Force, la sensation gagna en amplitude.

Danni se couvrit les oreilles.

— C’est quoi ?

— Je l’ignore !

Le crâne de Jacen résonnait comme une cloche. Il se tourna vers les écrans.

— Mais je le découvrirai !

 

Saba se réveilla en sursaut, avec l’impression qu’on lui fendait le crâne… Elle s’agita, avant de se découvrir dans ses quartiers, sur l’Ombre de Jade… Quand Mara avait ordonné une halte, elle avait fermé les yeux pour méditer. Et dû s’endormir…

Aucune alarme ne sonnait. Nul vent de panique ne flottait dans l’air. Tout paraissait normal, excepté la douleur, dans sa tête…

Elle se lança à la recherche de la source de cet inconfort.

Trouve la douleur ! Découvre qui t’attaque.

Elle se força au calme. Volontaire, elle réussit à aller contre tous ses instincts.

La Force répondit à son appel, l’emplissant d’une énergie qui balaya la fatigue et la confusion. Ce qu’elle éprouvait était relayé par la Force elle-même, comme si une entité très puissante avait été dérangée, non loin de là.

L’excitation l’envahit.

Saba se hâta de rejoindre la passerelle. Ses compagnons, elle le sentait, partageaient son excitation. Tous avaient détecté cette émotion, à part Soron Hegerty, qui dormait dans une cabine.

R2-D2 bipa quand elle passa à côté de lui. Elle tapota le dôme du droïd sans s’arrêter. L’odeur d’incertitude émanant des humains était forte. Saba se concentra sur son but.

— … je ne peux pas être sûre, à cette distance, dit Mara. Ça pourrait être n’importe quoi. Les perturbations psychiques massives peuvent avoir de nombreuses causes.

— Elle a raison, Jacen, ajouta Luke. Quand l’Etoile Noire a pulvérisé Alderaan, Obi-Wan l’a perçu à une très grande distance.

— Je sais, mais ça, c’est tout près ! insista Jacen. Je le sens. Qu’est-ce que ce serait d’autre ?

— Jacen a raison, renchérit Saba avec son accent étrange. Zonama Sekot crie dans le vide.

Le maître Jedi se tourna vers elle.

— Pourquoi ?

— Elle paraît… en détresse.

A en juger par les visages tendus des humains, tout le monde le sentait.

— Presque effrayée, dit Danni. Et furieuse aussi.

— D’accord, fit Mara. Supposons qu’il s’agisse de Zonama Sekot. Que faire ? La contacter ?

— Si tu penses pouvoir remonter le signal jusqu’à sa source…, lâcha Danni.

Mara fronça les sourcils.

— Possible, mais arriver comme ça, sans qu’elle nous ait invités… Je ne suis pas sûre du résultat. Elle a l’air agitée. Si on déboule sans prévenir, elle risque de le prendre mal.

— Peut-être, dit Luke, mais je crois quand même qu’approcher et lui montrer nos intentions, au lieu de les lui expliquer, est la meilleure solution. (Il se tourna vers la Barabel.) Jacen, Saba, vous êtes capables de repérer la vie. Qu’en pensez-vous ?

Jacen eut l’air incertain.

— Je ne peux pas lire dans son esprit, répondit Saba, sa queue frappant en rythme sa cheville gauche. Pas plus que je ne pourrais déchiffrer d’un coup tout le contenu de la bibliothèque des Chiss.

— Approcher ne sera-t-il pas pire que tout ? demanda Danni.

— Je suis sûr d’une seule chose : c’est notre meilleure chance d’arriver à nos fins. L’occasion ne se représentera peut-être jamais.

Mara inspira à fond.

— D’accord. Allons-y, tant que nous le pouvons encore.

Luke rouvrit la fréquence pour reprendre contact avec la capitaine du Faiseur de Veuves.

— Arien, je voudrais que vous vous verrouilliez sur notre navi-ordinateur et vous prépariez à un départ immédiat. Nous tenons une piste, et si notre intuition est juste, nous serons bientôt à destination. Nous ignorons ce qui se passera alors. Soyez prête !

— Entendu. Yage, terminé.

Autour de Luke, tous étaient anxieux.

— Nous devrions peut-être fusionner, dit-il. Ainsi, trouver l’origine de l’émission deviendra plus facile pour Mara.

Danni avait peu pratiqué la fusion mentale Jedi, mais elle acquiesça comme les autres. Saba commença les exercices familiers en inspirant à fond. Scintillante comme un brasier, elle percevait l’aura de son entourage.

La force du signal était telle qu’elle faillit obscurcir les autres. Concentrée, Danni les focalisa un par un, et leurs pensées ne furent bientôt qu’une.

L’esprit de Mara fourmillait de coordonnées hyperspatiales et de données de vol. Saba ajouta ses perceptions du lointain monde-esprit au mélange de pensées et d’impressions qui se rassemblaient autour de Mara. Danni offrit sa connaissance limpide des forces astronomiques. Tous ses sens à l’affût, Saba s’imagina sur Barab I, avec sa lumière rougeâtre, cherchant des shenbits broyeurs d’os. Sans être un lézard géant, Zonama Sekot présentait de troublantes analogies avec l’animal. Des chasseurs, tous les deux, et Saba était une excellente chasseuse…

Mara prit tout ce qu’on lui offrait, puis calcula un cap.

L’hyperpropulsion de l'Ombre de Jade s’activa avec un grondement. Saba perçut la sensation familière des lumières filant le long de la coque, tandis que la topologie étrange de l’hyperespace les enveloppait.

Ici, c’était le territoire de Mara. Même avec la Force pour les guider, le chemin était tortueux et semé d’embûches. L’Ombre de Jade suivit le cap de son mieux, le Faiseur de Veuves sur ses traces, mais presque aussitôt, elle rencontra la même barrière qu’auparavant. Avec une sensation d’arrachement, elle retourna dans l’espace réel, à peine plus près de Klasse Ephemora.

Mara ne renonça pas. Le signal venu de l’esprit lointain gagnait en force. Saba se concentra, sondant les chemins immatériels qui s’étendaient entre la planète et eux. Franchir le vide cosmique aurait dû être aussi facile que sauter d’un coin d’une pièce à l’autre… Sa queue tressauta sous l’effort quand elle imagina ce saut hyperspatial en détail.

L’Ombre de Jade fit un autre saut. La coque vibrant, Mara plongea le vaisseau à travers l’espace étrange qui entourait leur objectif. Saba eut l’impression que des ombres incompréhensibles les contournaient, des membranes à n dimensions se déployant de mauvais gré sur leur passage… Elle ignorait leur nature ou leur provenance, mais il lui sembla que Mara faisait des progrès. Ils approchaient – forcément !

Bringuebalant comme un vieux cargo, ils retombèrent dans l’espace réel. Ils vérifièrent que le Faiseur de Veuves les suivait toujours. Quelques secondes après l'Ombre de Jade, la frégate sortit abruptement de l’hyperespace.

— Le Faiseur de Veuves tient le coup ? demanda Mara.

— J’ai connu pire, répondit la capitaine impériale.

Luke rassembla autour de lui l’esprit des Jedi – pour faire un autre essai.

— Cette fois, nous y arriverons, dit-il. Mara avait raison : il existe un moyen. A nous de le trouver !

Ils se concentrèrent. Saba sentit sa conscience se fondre dans les sensations étranges générées par l’hyperespace. Zonama Sekot les attirait.

Elle se noya dans la masse d’émotions, emportée par la marée comme un grain de sable.

Absorbée par la chasse, elle consacra toute son attention à attraper…

Comme s’ils avaient atteint l’œil d’un cyclone, il y eut un brusque changement. Les pensées de Saba reprirent un cours cohérent… Ils étaient de nouveau sortis de l’hyperespace, mais les écrans débordaient de données. Sur l’un d’eux, un soleil brillait, sur un deuxième, une géante gazeuse tournait, sur un troisième, une planète bleu-vert lointaine attirait l’esprit de Saba… Le vert marquait la présence de chlorophylle, et le bleu, d’eau. Si un monde devait vivre, il lui fallait les deux.

Zonama Sekot !

Il y avait autre chose : des nuages rouges et jaunes, produits par des armes à énergie sillonnant l’atmosphère… Des vaisseaux spatiaux aux coques déchiquetées sous l’assaut de forces prodigieuses déversaient d’innombrables victimes dans le vide spatial…

Et ce n’était pas tout. Au-delà, ce que Saba vit dépassait tout ce qu’elle avait pu connaître jusque-là. Des rubans colorés jaillissaient des pôles de la planète comme autant de couronnes solaires errantes. Des esprits voletaient dans la couche supérieure de l’atmosphère, envoyant des éclairs d’énergie loin au-dessus d’eux. Ces éclairs tournaient autour de l’équateur, gagnant en vitesse et formant un anneau lisse et régulier. Puis, avec un crépitement perçant, ils lancèrent en hauteur une lame de pure énergie. Des flux de champs magnétiques mesurés par l’Ombre de Jade accompagnèrent ce qui paraissait être les effets de rayons tracteurs – à une échelle que Saba n’aurait jamais osé imaginer.

Les ennemis de Zonama Sekot ? Des vaisseaux vong : deux analogues de croiseurs de taille moyenne et d’innombrables coraux skippers… Il y avait aussi d’autres bâtiments, petits points de lumière qui ne ressemblaient à rien de connu pour Saba. Chacun était différent de son voisin, magnifique et mortel.

Zonama Sekot se défendait !

La colère monta, d’une féroce efficacité, et avec elle revint l’orage. Saba eut à peine le temps de se demander ce qui arriverait quand l’esprit qu’ils cherchaient les remarquerait enfin…

Une vague d’énergie psychique les frappa, les plongeant tous dans l’inconscience.

 

— Epargnez-moi, maître ! Epargnez-moi !

Le seigneur suprême Shimrra écrasait de son mépris la misérable créature qui se tordait de douleur à ses pieds. La Honteuse avait été torturée et battue, sans que ses bourreaux viennent à bout de sa résistance. Si le chef de droit divin des Yuuzhan Vong trouvait cela étonnant, il n’en laissait rien paraître.

— T’épargner ? Pour que tu continues à souiller l’air avec tes protestations d’innocence ?

— Je suis innocente, mon seigneur ! Vous devez me croire !

— Tu oses me dicter ce que je dois croire ? gronda Shimrra.

L’objet de sa colère gémit, pitoyable.

— Pardonnez mon ignorance, seigneur ! Si je connaissais la réponse à vos questions, je vous l’aurais donnée !

— Tu la connais ! Tu es un pion entre les mains de la secte qui ose se réclamer des Jeedai !

— Maître, je jure par…

— Epargne-moi tes serments au nom de tes dieux infidèles ! Je refuse d’entendre un mensonge de plus.

Sur un geste impérieux de Shimrra, la Honteuse fut traînée hors de la pièce. Ces temps derniers, les charniers où les hérétiques étaient exécutés fonctionnaient jour et nuit. Un essaim de yargh’un affamés aux longues dents acérées dévorait les victimes. Avant de les précipiter au fond du puits, les bourreaux leur brisaient les membres. Les condamnés pour hérésie n’avaient droit à aucune pitié. Leur mode d’exécution témoignait de l’infamie dont ils étaient frappés.

— Détruisez les yargh’un, ordonna Shimrra aux gardes.

Ceux-ci, déconcertés, hésitèrent.

— Seigneur ?

— Ces bêtes ont été souillées par le sang des hérétiques. Emportez-les hors du puits et incinérez-les.

— Et celle-ci, maître ? demanda un garde.

— Comme les autres : brisez-lui les jambes et jetez-la dans le puits. Qu’elle y meure de faim et de soif, comme un animal. Son corps pourrira là en témoignage du sort réservé aux infâmes propagateurs de cette hérésie ! Souffrance et longue agonie à tous ceux qui tournent le dos aux dieux !

Sourds aux cris de la condamnée, les soldats exécutèrent la sentence.

Quand les derniers échos de ses hurlements moururent, Shimrra reprit la parole.

— Beau travail, Ngaaluh. Une fois de plus, vos investigations ont permis de percer à jour l’ennemi qui nous mine de l’intérieur.

La prêtresse au corps svelte fit une profonde révérence.

— Je suis honorée, seigneur suprême.

— Vous réussissez là où beaucoup ont échoué, ajouta Shimrra avec un coup d’œil torve aux prêtres, aux modeleurs, aux guerriers et aux intendants réunis pour l’interrogatoire. Restons sur nos gardes, que l’hérésie ne se répande surtout pas davantage. Débusquons ces traîtres, où qu’ils se terrent !

— Soyez assuré, seigneur suprême, dit le haut prêtre Dra-thul, l’intendant principal de Yuuzhan’tar, que nous faisons tous les efforts possibles pour endiguer cette terrible marée.

— Votre volonté – celle des dieux – ne sera pas ignorée, renchérit le maître de guerre Nas Choka. Nous n’aurons pas de repos tant que le dernier hérétique n’aura pas été écrasé sous la semelle de nos bottes !

— Je n’attends rien de moins de vous tous, répondit Shimrra. Dorénavant, tous ceux qui manqueront d’enthousiasme pour balayer l’hérésie seront considérés comme des collaborateurs et traités comme tels. Ils subiront le sort réservé aux traîtres. Est-ce clair ?

Tous s’inclinèrent solennellement.

— Continuez votre travail, Ngaaluh. Je ne puis superviser en personne les interrogatoires et exécutions, mais je reste responsable du maintien de tout ce que les dieux nous ont accordé. Je suis donc ravi d’avoir quelqu’un de compétent sur qui compter. Trouvez d’autres misérables à jeter dans le puits des yargh’un. Quand il sera plein, j’en construirai un autre, et un autre, jusqu’à ce que cette maudite hérésie soit effacée une fois pour toutes de la galaxie, et que les dieux nous accordent de nouveau leurs faveurs.

— Oui, seigneur suprême, répondit Ngaaluh en s’inclinant encore plus.

Shimrra lorgna sans enthousiasme ses laquais.

— Laissez-moi. Je dois réfléchir à beaucoup de choses.

Un par un, les membres de la cour sortirent. Ngaaluh fut une des dernières à s’éclipser. Elle se retourna encore, offrant au villip qu’elle portait une ultime image de Shimrra sur son trône.

Pour Nom Anor, qui suivait la scène sur un villip récepteur, loin de là, dans les souterrains de Yuuzhan’tar, Shimrra paraissait isolé – mais pas diminué. Le pouvoir et l’assurance du seigneur suprême transparaissaient dans sa posture régalienne et l’indifférence qu’il témoignait à ses courtisans. Le chef de la galaxie avait essuyé beaucoup d’orages. A en juger par sa détermination, il en essuierait encore bien d’autres.

Le sourire triomphant de Nom Anor s’effaça. Les poings serrés, il arpenta sa salle d’audience – la sixième en autant de semaines. La transmission de Ngaaluh fut coupée quand la prêtresse traversa le périmètre de sécurité de la salle du trône de Shimrra.

— Encore une réussite, murmura Kunra.

Appuyé au chambranle de la porte, le guerrier disgracié, le conseiller de Nom Anor pour toutes les questions autres que religieuses, avait l’air détendu. Mais Nom Anor n’était pas dupe : sous ses dehors bonhommes, Kunra écoutait attentivement tout ce qui se disait de part et d’autre.

— Depuis que Ngaaluh nous a rejoints, nous avons obtenu beaucoup de renseignements vitaux. Grâce à elle, notre influence grandit.

Distrait, Nom Anor hocha la tête. Prenant son attitude pour un défi, Kunra développa son analyse enthousiaste de la situation :

— Shimrra a débusqué une traîtresse tout près de son trône, mais il ne lui a pas arraché la moindre confession ! Vous avez vu sa tête ? Il a peur de nous !

— C’était pénible à regarder, avoua Shoon-mi en sortant de l’ombre, près du fauteuil du Prophète.

Il apportait la coupe d’eau demandée par Nom Anor.

Le Honteux portait une robe de prêtre délavée et son visage sans cicatrice exprimait une incontestable fierté. Pourtant, il avait toujours l’air lugubre, et ça ne s’arrangeait pas avec le temps.

Nom Anor comprenait l’inquiétude de son conseiller religieux.

— En chacun de nous subsistent des vestiges de notre loyauté aux anciennes coutumes, Shoon-mi. Parfois, même la vérité peine à effacer le conditionnement de toute une vie.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, maître. Je parlais d’Eckla du Domaine Shoolb.

Nom Anor comprit enfin. Eckla ? La Honteuse qui venait d’être condamnée à mort par Shimrra.

— Bien entendu… Un noble sacrifice. Elle ne sera pas oubliée.

Des expressions toutes faites, sans substance… En réalité, sitôt « enterré » avec elle le risque qu’elle trahisse, Eckla du Domaine Shoolb avait instantanément cessé d’exister pour Nom Anor.

— Elle sera honorée dans nos souvenirs, reprit l’ancien exécuteur, comme une martyre à notre cause.

— Une parmi une multitude, désormais…

Nom Anor brûlait d’envie de réprimander l’impudent qui osait le critiquer, mais il se contint.

— Le chemin de la liberté est long et ardu, Shoon-mi. Nous le savions dès le début. Et au besoin, nous saurions nous sacrifier comme Eckla.

— Sans hésiter, maître, répondit Shoon-mi.

Mais il restait dans son regard comme une lueur de défi.

— Je rappelle aux novices que la douleur est souvent la seule « récompense » de la fidélité. Peu d’entre eux en semblent troublés.

— Au moins, nous savons qu’il y a quelque chose, au-delà de la souffrance, ajouta Nom Anor, débitant à son assistant les fadaises que celui-ci voulait entendre. Les Jeedai promettent une nouvelle vie, alors que la nôtre n’était que mort et servitude. La liberté vaut tous les sacrifices, ne crois-tu pas ?

— Oui, maître.

Shoon-mi s’inclina et quitta la salle.

Nom Anor aurait voulu son avis sur le choix des prochains novices… Il le consulterait plus tard à ce sujet. Si la vie d’Eckla du Domaine Shoolb avait représenté quoi que ce fût à ses yeux, lui aussi aurait eu besoin de solitude pour réfléchir.

Il fit signe à Kunra de fermer la porte.

Il se sentait irrité et agité. Si l’infiltration de Ngaaluh dans l’entourage de Shimrra était un tel succès, pourquoi n’en éprouvait-il aucune satisfaction ? Pourquoi ne pouvait-il, comme Kunra, admettre joyeusement que Shimrra était déstabilisé par l’hérésie qui minait son autorité ?

— Parle-moi de ceux que tu formes dans ce secteur, demanda-t-il. Quels progrès as-tu faits ?

— J’ai sélectionné trois des recrues les plus capables, sans que Shoon-mi en soit informé. Ils manifestent tous la dose de fanatisme et de stupidité nécessaires à la tâche. Je les laisserai se battre entre eux pour voir lequel gagne.

— Se battre littéralement ?

La violence ne collait pas avec l’hérésie Jedi, mais Kunra, Nom Anor le savait, avait des côtés sombres… Il n’hésiterait pas à aller jusque-là si nécessaire.

— Non. Le vainqueur doit être capable de soutenir sans frémir le regard des laquais de Shimrra, mais sans recourir à la violence. Ils feront les premiers pas vers ce défi les uns contre les autres. Le premier à frapper sera remercié.

— Et par « remercié », tu veux dire… ?

— Eliminé.

Nom Anor hocha la tête, satisfait. Une organisation comme la sienne avait beaucoup d’exigences contradictoires. La première ? Répandre l’hérésie par des voies qui n’étaient ni efficaces ni fiables… Les Honteux avaient toujours colporté des rumeurs sans souci aucun de véracité. Pour que l’hérésie soit efficace, il convenait de limiter au minimum les approximations et les divagations. Et maintenant que les rangs les plus élevés de la société prêtaient à leur tour l’oreille, il fallait s’assurer que personne ne puisse remonter jusqu’à la source…

Deux objectifs souvent contradictoires. Et Nom Anor se fiait à ses assistants pour maintenir ce délicat équilibre – même si l’un n’était pas toujours informé de ce que l’autre savait.

Donc, si Shoon-mi avait la responsabilité de répandre le message, Kunra devait empêcher les fuites. Avec une petite équipe triée sur le volet, que Nom Anor appelait sa « police spirituelle », il colmatait les brèches qui menaçaient la stabilité de tout l’édifice. Son travail était facilité, puisque toute disparition était censée avoir pour responsables des membres des échelons supérieurs qui s’approchaient de la source de l’hérésie. Chaque élimination « chirurgicale » avait pour effet secondaire d’aggraver la paranoïa et de rendre son rôle moins essentiel.

Mais à mesure que le réseau s’étendait et répandait les doctrines Jedi, les risques augmentaient. Parfois Nom Anor se réveillait en pleine nuit, suant de peur à l’idée que Shimrra, inexorablement, se rapprochait de lui…

— Bon travail, Kunra.

Il le flattait comme il eût lissé le poil d’un animal domestique. Lui ayant sauvé la vie, il savait que sa loyauté lui était acquise.

— Mais ne m’ennuie pas avec les détails. Assure-toi seulement d’avoir un candidat prêt dans trois jours. Je voudrais aller de l’avant. Rôder dans les ténèbres n’est pas vraiment mon but.

Kunra s’inclina. A l’instar de Shoon-mi, une certaine insubordination transparaissait dans son attitude, mais Nom Anor l’acceptait mieux de la part de l’ancien guerrier. Il lui fallait de la fougue pour mener son travail à bien.

Shoon-mi avait seulement besoin d’obéissance.

— Laisse-moi, maintenant. Je dois réfléchir.

Kunra sortit, fermant la porte derrière lui. Fatigué, Nom Anor se pencha sur la coupe d’eau pour se rafraîchir le visage. Tout se déroulait comme prévu : l’hérésie se répandait, et grâce à ses déplacements incessants, Shimrra n’était toujours pas près de l’attraper. Mais ça ne suffisait pas. Depuis le départ, l’hérésie était un moyen de restaurer le pouvoir de Nom Anor. Ne pas avancer vers ce but revenait à faire un pas en arrière.

Mais… restaurer le pouvoir sur qui ? Se contenterait-il d’être le chef d’une armée minable de Honteux et d’inadaptés ?

Nom Anor observa son reflet dans le bol d’eau. Il était hagard et crasseux, le résultat de sa vie dans les souterrains de Yuuzhan’tar… Et ses yeux reflétaient le doute.

Son propre reflet lui était devenu étranger.

Grognant de frustration, il jeta le bol d’eau sur le sol.

Kunra se trompait. Shimrra n’était nullement effrayé ! Il avait trahi sa colère, certes, mais aucunement la peur. L’hérésie était un obstacle pour lui, pas une menace.

Et le Prophète ? Le roi d’un cachot était peut-être un roi, mais… il vivait dans un cachot.

Bref, il était grand temps qu’il commence à exercer le pouvoir véritable…

 

Sur le Faucon, l’humeur était orageuse.

— Nous ne pouvons pas partir ! insista Yan. Pas avant de savoir Jaina en sécurité.

— Elle l’est, Yan. Elle revient vers le Sélonia. En restant ici, tu nous mets tous en danger.

A travers les détecteurs du vaisseau, elle entendait les hurlements de la foule qui convergeait vers la baie d’atterrissage du Faucon. Pour le moment, seule la sécurité des quais la tenait en respect.

— Et alors ? objecta Yan. Nous sommes capables de nous défendre.

— Soulever des troubles partout où nous allons n’aidera pas notre cause, Yan. Nous sommes censés répandre un message de paix, pas de l’agitation.

Solo se frotta la tempe comme s’il avait mal à la tête. Sur les écrans flottait l’image du cordon de sécurité déployé autour du quai du Faucon.

— Et le Ryn ? demanda-t-il plus calmement.

Leia n’avait pas de réponse à ça. Ses pensées étaient centrées sur Jaina, mais ce point méritait considération. Sur Bakura, Goure leur avait annoncé qu’ils devaient se rendre sur Onadax pour y rencontrer un autre Ryn.

Jusque-là, ils n’avaient vu personne.

— Je ne sais pas. Goure a peut-être mal compris. Ou les choses auront changé entre le message qu’il a reçu et maintenant. Le réseau des Ryns est lent, souviens-toi…

— Attends, dit Yan. Tu as entendu ça ?

Leia tendit l’oreille en vain. Si son époux voulait les retarder, il lui faudrait trouver mieux que ça.

— Il est temps que nous allions dans un endroit plus sûr, Yan. La capitaine Todra peut se débrouiller seule, et Jaina ne tardera pas à regagner son bord. Je sens qu’elle se rapproche.

— D’accord, soupira Yan. Mais restons en orbite basse. Si on veut du mal à Jaina, je…

— Jaina est une grande fille, coupa Leia, réprimant un sourire.

Des coups violents, sous le ventre du vaisseau, les interrompirent.

Yan poussa des boutons, et Leia prit le siège du copilote. Puis son mari sortit le laser rétractable et l’activa.

Sur une des cams, ils virent une silhouette dégingandée frapper à coups redoublés de barre de fer contre l’écoutille ventrale du vaisseau. La combinaison environnementale de l’inconnu était trop légère pour dissimuler une arme.

— Je doute que la sécurité envoie un type attifé comme ça faire son sale boulot, commenta Leia.

Solo eut l’air dubitatif.

— Tire un coup de semonce.

— Ce n’est peut-être pas une bonne idée, Yan. Ça pourrait être interprété comme une agression.

— C’est censé en être une ! Et si ce type ne cesse pas de cogner comme ça sur le Faucon, je sens que je vais devenir agressif, moi aussi !

— Mais on dirait qu’il essaie seulement d’attirer notre attention.

— Ouais, et regarde le bien que ça fait à la peinture !

— Je ne tirerai pas.

Leia croisa les bras.

Yan leva les yeux au ciel. Avec un grognement d’exaspération, il quitta le siège du pilote et remonta la coursive, en marmonnant des imprécations où il était question de « mutinerie ».

Leia continua les vérifications du contrôle final de décollage tout en gardant l’œil sur la cam ventrale qui couvrait la rampe d’accès.

L’écoutille s’ouvrit juste assez pour que Yan invective l’inconnu qui osait marteler la coque. Leia suivit leur dialogue animé, mais elle ne lisait pas assez sur les lèvres pour comprendre ce qui se disait. A un moment, l’étranger souleva son masque, faisant naître une expression d’intense stupéfaction sur le visage de Yan.

Très surprise, elle vit alors son mari abaisser la rampe et faire signe au type de monter à bord. Celui-ci jeta la barre de métal et obéit.

Leia éprouva un vague malaise…

 

— Ombre de Jade, veuillez répondre !

La voix de Mayn tira Luke de son engourdissement. Le monde tremblait autour de lui, et un rugissement emplissait ses oreilles. Derrière l’étourdissement provoqué par la violente attaque mentale, il sentit Saba, Danni et Tekli près de lui, évanouies toutes les trois. L’esprit de Jacen, brillant et éveillé, contactait déjà ceux de ses compagnons. Plus loin, dans le vaisseau, il perçut l’intellect endormi de Soron Hegerty, et, à côté, celui de Mara, qui se battait avec les commandes.

— Nous sommes occupés, capitaine, dit-elle. Nous vous contacterons dès que possible, d’accord ?

Avant que le Faiseur de Veuves puisse répondre, Mara coupa la communication. A ce stade, poser le vaisseau exigeait toute sa concentration.

— Où sommes-nous ? demanda Luke d’une voix rauque, tant il avait la gorge sèche.

— On atterrit, répondit Mara sans quitter les commandes des yeux.

A travers le cockpit, Luke découvrit la végétation luxuriante de la planète. Au sud, il vit des langues de terre nue, peut-être les cicatrices des attaques vong dont Vergere avait parlé, ou les effets des nombreux sauts hyperspatiaux faits par la planète pendant sa fuite à travers les Régions Inconnues.

Il regarda son épouse. Elle avait des poches sous les yeux.

— Ça va ?

— Je suppose, répondit-elle, distraitement.

— Que s’est-il passé ?

— Je n’en suis pas sûre. On aurait dit un « coup de poing » de la Force, sacrément violent. Ça a expédié tout le monde au tapis !

— Mais pas toi ?

Mara haussa les épaules.

— J’étais assommée, comme vous tous. L’instant d’après je me suis réveillée alors que Jacen recevait des instructions sur l’unité com.

— Jacen ?

— Il a repris conscience le premier. Il pense que Zonama Sekot nous a « endormis ». Mais quelqu’un, à la surface de la planète, lui a donné les coordonnées d’approche. Sur l’instigation de la planète, j’imagine… Quand je me suis réveillée, il expliquait qu’il n’était pas le plus compétent pour piloter le vaisseau. Lorsque j’ai dit que je devais m’entretenir avec toi, nos interlocuteurs, à la surface, ont répondu qu’il n’en était pas question. Vu les enregistrements de l’Ombre de Jade, j’ai décidé que ce n’était pas le moment de discuter.

— Que veux-tu dire ? demanda Luke.

— Tiens, vérifie toi-même. (Mara poussa un bouton pour déclencher l’enregistrement.) Ça se passe juste avant mon réveil, après notre entrée dans le système…

L’enregistrement montrait les vaisseaux yuuzhan vong que Luke avait aperçus à leur arrivée. Il avait momentanément oublié la bataille en reprenant connaissance, mais la revoir lui en rappela les détails.

Il regarda, sidéré, les vaisseaux ennemis reculer. La flotte vong, modeste, parvint presque à résister aux défenses planétaires. Mais les bâtiments étrangers durent finalement céder et se disperser.

Les défenseurs de Zonama Sekot les pourchassèrent, les pulvérisant jusqu’au dernier.

— Il n’en reste aucun ? demanda Luke.

— Apparemment, ils les ont tous eus.

— Pourquoi ne nous a-t-on pas réservé le même sort ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, Luke.

— Elle a peut-être lu dans nos esprits et compris que nous ne lui voulions pas de mal. Et elle a réveillé Jacen le premier parce qu’il a des affinités avec les intellects… inhabituels.

— Il existe un seul moyen d’en avoir le cœur net, dit Mara. Parler aux indigènes.

— C’est ce que nous allons faire, répondit Luke. Peut-être nous diront-ils pourquoi les Yuuzhan Vong étaient là…

— Selon les Chiss, les Vong ont déjà envoyé des missions dans les Régions Inconnues, rappela Mara.

— Certes, mais j’ai du mal à croire qu’ils sont tombés par hasard sur Zonama Sekot. Nous-mêmes, nous avons eu toutes les peines du monde à la trouver…

— Dans ce cas, il peut y avoir d’autres flottes vong dans le secteur…

— Ça fait donc deux fois, au moins, que les Vong trouvent la planète. On dirait qu’eux aussi la cherchent…

L’Ombre de Jade se posa délicatement dans un champ niché au cœur de grandes forêts.

— Bienvenue sur Zonama Sekot ! lança Jacen.

Luke se tourna vers son neveu qui regardait le paysage à travers la verrière de transpacier. Dehors, des créatures virevoltaient autour des arbres ou bondissaient dans les branches.

— Où sommes-nous, exactement ? demanda Luke.

— Si tu veux un nom, je n’en sais rien, répondit Jacen. Mon interlocuteur m’a donné les coordonnées de ce champ d’atterrissage, puis il a coupé la communication. Nous sommes quelque part dans l’hémisphère sud.

Mara désigna un écran topographique.

— Si Vergere a dit vrai, tout ceci fut détruit par les Yuuzhan Vong la dernière fois qu’ils sont venus, il y a soixante ans.

Luke comprenait l’incrédulité, dans la voix de Mara. Il ne restait aucune trace de la destruction, excepté les zones dégagées visibles depuis l’orbite.

Zonama Sekot avait guéri.

— On ne t’a rien dit d’autre ?

— Seulement demandé d’atterrir, et de laisser le Faiseur de Veuves en orbite, où il ne lui arriverait aucun mal.

— J’imagine qu’Arien a connu les mêmes phénomènes que nous…

— Non, dit Mara. Quelques membres de l’équipage ont souffert de céphalées et de nausées, c’est tout. On dirait que ce « coup de poing » de la Force nous visait – nous et nous seuls !

— Parce que l’Ombre de Jade est arrivé en premier, ou parce que nous sommes des Jedi ? demanda Jacen.

Il sentit que Mara allait avouer son ignorance, mais quelque chose, dehors, attira leur attention. Entre les arbres, un homme et une femme apparurent – élancés et minces, avec la peau bleue et de grands yeux noirs dorés. Lui avait les cheveux noirs et elle d’un blanc immaculé. Tous deux portaient de longues toges fluides verte et grise.

Ils s’arrêtèrent à distance de l’Ombre de Jade et attendirent, les mains croisées.

— Bien, dit Luke. Voilà les indigènes.

— Ils n’ont pas l’air très accueillants, remarqua Mara.

Jacen fit mine de quitter le cockpit, mais Luke le retint par un bras.

— Je préférerais que tu restes avec D2 pour garder un œil sur les autres.

Jacen hésita.

— Je suppose que ça vaut mieux. Appelle-moi si tu as besoin d’aide.

— Ne t’en fais pas, répondit Mara.

Luke et elle sortirent par l’arrière du vaisseau. Inspirant à fond l’air frais de Zonama Sekot, Luke ferma les yeux un instant.

Nous y sommes enfin ! pensa-t-il.

Mara le rejoignit. Son expression reflétait le même émerveillement. Le ciel était d’un bleu électrique et la brise jouait avec les herbes. De petits nuages cachaient partiellement Mobus, le monde géant autour duquel Zonama Sekot orbitait. L’étoile du système formait un angle de vingt degrés avec la géante gazeuse.

Un endroit bien réel, se dit Luke, et regorgeant de vie… Il percevait sur ce monde un puissant potentiel de Force, comme si un orage psychique couvait. S’agissait-il de l’esprit de Zonama Sekot ? Etait-ce ce que Vergere avait capté quand la planète vivante avait accédé à la conscience, tant d’années auparavant ? Même sur Ithor, Luke n’avait jamais « vu » une faune et une flore se fondre en un tout aussi harmonieux.

Les deux indigènes approchèrent.

— Qui êtes-vous ? demanda la femme.

— Je m’appelle Luke Skywalker, et voilà mon épouse, Mara. Nous tenons à vous remercier de nous accueillir sur…

— Vous n’êtes pas les bienvenus, coupa sèchement l’homme.

Mara fronça les sourcils.

— Pourtant, vous nous avez donné les coordonnées pour…

— On nous l’a ordonné, précisa la femme.

— Votre vaisseau est le premier à atterrir sur Zonama depuis plus de cinquante ans, précisa l’homme. Sekot l’a souhaité, et nous obéissons.

— Vous parlez de Zonama et de Sekot comme si elles étaient deux entités séparées, remarqua Luke. Pourquoi ?

— Sekot est l’esprit, dit l’homme.

— Et Zonama est la planète, compléta sa compagne.

— Vous êtes donc des Zonamiens ?

— Nous sommes des Ferroans…

Se retournant, Luke découvrit une autre femme à la peau bleue. Celle-là était vêtue de noir.

Mara se mit en position de défense.

— Pardonnez-moi de vous avoir surpris, ajouta l’inconnue avec un léger sourire. Je ne vous veux aucun mal. Je suis la Magistère. L’intermédiaire entre Zonama et Sekot…

Sa peau bleu pâle ridée, ses cheveux noirs noués en queue-de-cheval, la femme irradiait une vitalité convenant mieux à une personne bien plus jeune qu’elle le semblait. Sa signature dans la Force était étrange – comme si Luke la percevait à travers une verrière brouillée par la pluie.

Les autres Ferroans s’inclinèrent poliment et reculèrent.

— J’en déduis que c’est à vous que nous devons parler, dit Luke.

— Si vous avez un message, il convient de me le transmettre, oui.

Luke avança.

— Il s’agit de ceux que vous combattiez, récemment. Nous les appelons les Yuuzhan Vong, mais je crois que vous les connaissez sous le nom d’Etrangers.

— Comment le savez-vous ?

— Un Chevalier Jedi qui est venu ici autrefois l’a raconté à mon neveu.

— Vous parlez de Vergere. Nous nous souvenons d’elle. Avec amitié.

— Vraiment ? fit Mara.

— Son histoire est bien connue parmi nous. Elle avait réussi à détourner de nous les Etrangers. Assez longtemps pour nous permettre de nous préparer à leur deuxième assaut. Comme vous l’avez vu, nous sommes maintenant capables de nous défendre.

— La démonstration dont nous avons été témoins était impressionnante.

— Le mot « démonstration » impliquerait que nous avons agi pour votre seul bénéfice, remarqua le Ferroan.

— Chut, Rowel, dit la Magistère. Ce sont nos invités.

— Non, intervint la Ferroanne, ce sont des intrus. Nous devrions les renvoyer et tout oublier à leur sujet.

— Nier la réalité ne résout aucun problème, Darak. Nous avons en vain tenté de tourner le dos à l’univers. En un seul jour, nous avons rencontré deux espèces qui s’étaient lancées à notre recherche…

— Magistère, coupa Darak, ces intrus veulent nous imposer des changements violents ! Nous vivons en paix depuis des dizaines d’années, et soudain nos cieux s’emplissent des feux de la guerre !

— Et ce n’est qu’un début, hélas, lança Luke.

— Vous êtes porteurs de mauvais présages, accusa Rowel.

— C’est toujours le cas, avec les Chevaliers Jedi, renchérit Darak.

— Un moment, dit Luke. Vous avez dit « Chevaliers »… D’autres Jedi sont-ils venus ici, à part Vergere ?

— Nous en avons reçu plus d’un au fil du temps, répondit la Magistère, non sans un coup d’œil réprobateur aux autres Ferroans. Par le passé, les Jedi furent nos amis et nos alliés. Pourquoi n’en irait-il plus de même, maintenant ?

— Il faut être prudents, conseilla Darak. Nous sommes une planète opposée à des millions d’autres.

— Personne n’est à l’abri, dit Luke. Vous ne pouvez pas éviter ce qui arrivera. L’attaque d’aujourd’hui l’a prouvé. C’est déplaisant, mais c’est la vérité. Nous ne colportons pas de mensonges.

— J’aimerais parler à votre neveu, dit la Magistère, pour échanger avec lui nos souvenirs de Vergere.

— Renvoyez-les ! siffla Darak. Ne les écoutez pas !

La Magistère éclata de rire.

— Voyons, mes amis, du calme ! Vous allez trop loin. (Elle se tourna vers Luke et Mara.) Pardonnez ce manque de respect. Leurs craintes ne sont pas injustifiées. Nous avons connu des moments difficiles par le passé, surtout pendant l’Errance, quand nous cherchions un nouveau foyer… Des temps difficiles avec leur lot de famines et d’épidémies… Il n’y avait plus eu de visiteurs sur Zonama depuis des lustres. Nous vivions en paix, et voilà que les conflits s’abattent de nouveau sur nous. Notre inquiétude est légitime.

— La nôtre aussi. L’incursion des Etrangers dans votre territoire était imprévue. Il faut en parler, et le plus tôt sera le mieux !

— N’ayez crainte, répondit la Magistère. Vos compagnons, qui sont en train de se réveiller, vont participer à notre débat.

— Vous devrez venir avec nous, dit Rowel.

— Où ? demanda Mara.

— Dans notre village, répondit Darak.

— D’accord. Indiquez-moi où c’est, et j’y poserai mon vaisseau.

— Impossible, assura Rowel.

— Et comment comptez-vous m’empêcher de… ?

— C’est fait, lâcha Rowel en désignant l’Ombre de Jade. Sekot s’en est occupée.

Mara en fut bouche bée. Le vaisseau était littéralement cloué sur place par les hautes herbes et les plantes grimpantes qui l’enveloppaient.

D’instinct, Mara sortit son sabre laser et l’activa. Luke la prit par le bras avant qu’elle n’aille plus loin.

— Doucement ! Si Sekot peut immobiliser un vaisseau, elle n’aura aucun mal à nous paralyser aussi. Nous ne sommes pas de taille contre une planète, mon amour.

Mara éteignit la lame, mais elle n’était pas ravie de la situation.

— Magistère…, commença Luke.

Il s’interrompit. La femme était partie sans qu’il le remarque. Pourtant, sa présence étrange dans la Force persistait.

Puis elle se dissipa soudain.

— Si vous voulez venir, dit Rowel, suivez-nous.

— Merci, répondit Luke. Mais sans l’Ombre de Jade, comment ferons-nous ?

La Ferroane désigna un sentier, entre les hautes herbes.

— Nous marcherons, grogna Darak.

 

Jaina atteignit le dock du Sélonia quelques secondes avant la foule. Le trajet, dans les rues d’Onadax, avait été dangereux. Afin d’éviter les incendies et les rixes, elle avait dû changer de direction plusieurs fois. Les semeurs de troubles avaient fait du bon boulot !

Deux gardes l’arrêtèrent devant le dock.

— Nous avons ordre d’interdire l’accès à ce vaisseau, dit un Sélonien.

— Ordre de qui ? demanda Jaina, consciente que les émeutiers la talonnaient.

— Ça ne vous regarde pas. Si vous voulez bien venir par là…

Jaina lut dans l’esprit du type qu’elle finirait menottée et assommée si elle obéissait.

— Vous n’avez pas besoin de m’arrêter, dit-elle, recourant à ses dons de Jedi pour influencer l’esprit du Sélonien. Je ne suis pas concernée par vos instructions.

— Pas la peine de l’arrêter, dit le garde à son collègue. Elle n’est pas concernée.

Jaina sourit.

— Je ferais mieux d’embarquer sans tarder. Je suis sûre que vous n’avez pas de temps à perdre à papoter avec moi.

— Dépêchez-vous, je vous prie. Nous n’avons pas que ça à faire !

Les gardes se poussèrent, lui donnant accès au Sélonia. Elle se hâta de saisir son code de sécurité. Le panneau s’ouvrit.

— Nous vous attendions, annonça Selwin Markota, le second de la capitaine Mayn. Nous sommes prêts à décoller.

— Bonne idée !

Markota, un homme robuste aux cheveux clairsemés, était un excellent administrateur, fiable en cas de problème. Son empressement soulignait l’ampleur de la crise.

La frégate décolla.

— Et mes parents ? En sécurité ?

— Ils sont déjà en orbite, attendant votre appel.

— Des signes de poursuite ?

— Pas pour le moment. A mon avis, c’était un avertissement. Quelqu’un voulait nous voir déguerpir, mais pas forcément nous éliminer.

— Les émeutes étaient trop réelles à mon goût, dit Jaina.

— C’est certain. Comme la plupart des communautés prospérant en marge de la loi, Onadax est une poudrière prête à s’enflammer au plus petit prétexte. Nous avons intercepté des informations locales sur l’agent que nous aurions envoyé. Des témoins l’ont vu quitter les lieux du « crime », il y a quelques heures. Sa description correspond à celle de Yan.

Jaina pensa que l’affaire du Joe l’Epine ne semblait pas assez grave pour déclencher ces émeutes. Mais connaissant son père…

Markota s’arrêta devant l’unité médicale où Tahiri avait été installée.

— On vous attend à l’intérieur, dit-il.

Dès que Jaina fut entrée, Jag se leva d’un bond et lui posa les mains sur les épaules.

— Quand nous avons décollé, je n’avais toujours pas de nouvelles de toi…, dit-il, embarrassé. Je suis heureux que tu sois revenue !

— Moi aussi, répondit Jaina.

Elle sourit et caressa brièvement la joue du jeune homme.

Il fit un pas de côté pour la laisser entrer dans la suite. Sur le lit, elle vit Tahiri pâle et comateuse, toujours dans la même position depuis Bakura. Hérissée de tubes et de câbles, elle avait les paupières rouges, et les lèvres sèches et craquelées.

— Désolé de vous interrompre, dit Solo.

Sa voix sortait de l’unité com de la pièce.

— Papa ? Je n’avais pas compris qu’il y avait une communication en cours… Maman est avec toi ?

— Me voilà, Jaina, confirma sa mère.

— Je suis sacrément contente de vous entendre !

— Et nous donc ! renchérit Yan.

Jaina s’assit au bord du lit et prit la main de Tahiri.

— Désolée que les choses n’aient pas marché comme prévu…

— Ça dépend, fit Leia.

— De quoi ? Vous avez trouvé le Ryn ?

— Pas exactement…

— Comment ça ?

— Eh bien, nous avons eu des nouvelles, mais pas de celui que nous attendions.

Jaina soupira, trop fatiguée pour jouer aux devinettes.

— Pourrait-on m’expliquer ce qui se passe ?

— En quittant Onadax, nous avons récupéré un passager, précisa Yan. Il voulait fuir les émeutes. Depuis qu’il est à bord, nous n’avons pas eu le temps de parler avec lui, mais je doute qu’il soit celui que nous cherchions.

— C’est bien un Ryn, ajouta Leia, mais il n’en sait pas long sur ce qui se passe.

— Et qui est-ce, exactement ?

— Droma, dit une voix typique de Ryn dans l’unité com. Ravi de vous parler, Jaina.

Jaina écarquilla les yeux de saisissement.

— Contente de… vous entendre, balbutia-t-elle.

— Je t’avais demandé d’attendre dans la soute ! râla Solo.

— Pourquoi, tu as peur que je vende tes secrets aux Vong ? répliqua le Ryn. Ne sois pas aussi parano !

— Ça n’a rien à voir avec la paranoïa, mais avec le respect de l'intimité !

Jaina entendit le soupir excédé de sa mère, comme si elle en avait déjà assez de les avoir tous les deux à bord.

— Dès que nous aurons atteint l’orbite, je vous rejoindrai, maman.

— A mon avis, tu es mieux là où tu es, répondit Leia. Mais si tu y tiens, je vais l’annoncer à ton père.

 

Jacen aida Danni à se relever. Il attendit qu’elle ait repris ses esprits. Agenouillé près de Saba et de Tekli, son oncle les réveillait en douceur.

— Bienvenue à bord, dit Jacen.

— Combien de temps suis-je restée évanouie ? demanda Danni.

— Quelques heures.

— Et… nous sommes arrivés ?

— Oui, répondit Jacen avec un grand sourire. Viens t’en rendre compte par toi-même.

La sentant toujours désorientée, il l’aida à gagner la poupe du vaisseau. Au bord de la rampe d’accès, la vue qui s’offrit à eux coupa le souffle de Jacen.

Des herbes hautes caressées par la brise ondulaient sous un ciel d’un bleu profond. L’air était parfumé par le pollen des plantes qui fleurissaient en abondance.

Ravi, Jacen inspira à fond.

Nous y sommes, pensa-t-il. Nous sommes enfin sur Zonama Sekot !

— Incroyable, n’est-ce pas ?

— J’ignore ce qui m’impressionne le plus, avoua Danni : la vue, ou le fait d’être sur une planète pensante…

— Ne t’en fais pas. Je suis sûr que les indigènes tempéreront ton enthousiasme.

— Les indigènes ? (Elle remarqua pour la première fois les deux êtres de grande taille qui se dressaient à quelques mètres sur leur gauche.) Pourquoi ? Quel est le problème ?

— Disons que notre arrivée ne les remplit pas de joie…, dit une autre voix.

Ils se tournèrent vers Mara, qui revenait vers eux.

— Que s’est-il passé ? demanda Danni. Ce sont eux qui nous ont assommés ?

Jacen et Mara lui exposèrent la situation : la bataille spatiale, l’expédition yuuzhan vong, l’atterrissage de l’Ombre de Jade sur Zonama Sekot, et la rencontre avec la Magistère et les Ferroans, en terminant par l’immobilisation du vaisseau. Les herbes et les plantes semblaient déterminées à le garder en place.

— Et le Faiseur de Veuves ? demanda Danni.

— Il ne lui arrivera rien de fâcheux tant qu’il restera en orbite, lança le Ferroan qui arrivait derrière eux.

— Comment avez-vous fait ? demanda Danni. Avez-vous utilisé la Force ?

Sondant la planète, elle ne détecta pas un esprit, mais une pression phénoménale, similaire à celle qu’un être humain ressentirait au fond d’un océan – mais mentale, pas physique.

— Sekot dispose de nombreuses défenses, répondit le Ferroan.

Un grognement précéda l’arrivée de Soron Hegerty, que Luke aidait à marcher. Ils étaient suivis par Tekli et Saba. La Barabel gardait la main sur la poignée de son sabre laser. La chasseuse n’était pas disposée à se laisser distraire par la luxuriance du paysage.

— Une longue marche nous attend, ajouta la Ferroane.

— Pourquoi ? demanda Danni. Où allons-nous ?

— Nous vous expliquerons en chemin, répondit Luke.

— Les arbres de votre forêt sont-ils sans danger ? demanda Saba.

— Ce ne sont pas des arbres, répondit la Ferroane, mais des boras, et l’ensemble s’appelle un tampasi. Ils se défendent uniquement si on les attaque. Sachez-le.

Les deux Ferroans partirent à vive allure, sans rien ajouter. Aux visiteurs de se hâter ou de risquer d’être semés…

Luke se tourna vers la Chadra-fan.

— Tekli, tu veux bien rester dans l’Ombre de Jade pour le surveiller ?

La minuscule Jedi s’inclina.

— Comptez sur moi, maître Skywalker.

— Nous garderons nos comlinks ouverts en permanence, précisa Luke.

Après une dernière révérence, Tekli retourna au vaisseau.

— Tout le monde est prêt ? demanda Luke à ses compagnons.

— Avons-nous le choix ? fit Jacen en montrant les deux Ferroans qui disparaissaient rapidement.

— Comme je disais, conclut Mara, voilà des gens sacrément accueillants !

 

Jaina écouta avec intérêt l’histoire de Droma. Ses parents l’avaient déjà entendue, mais eux aussi écoutèrent. Leia attendait-elle que le Ryn se coupe ?

Après le sauvetage de sa sœur sur Fondor, Droma avait continué à errer de planète en planète avec sa famille, selon la coutume de son peuple. L’avancée des Yuuzhan Vong les avait d’abord forcés à bifurquer vers le Noyau, puis vers les régions limitrophes de la galaxie – des endroits plus sûrs.

Ils s’y étaient heurtés à un esprit de clocher exacerbé, à des sentiments anti-Jedi, à la guerre civile, et à d’autres signes de l’effondrement des infrastructures…

Droma et sa famille étaient à peine parvenus à surnager.

— C’est alors que nous avons entendu parler du réseau des Ryns, continua Droma, la queue tressautant comme pour souligner certains points du récit. Nous avions entendu parler du réseau organisé par les Jedi, mais nous n’étions pas taillés pour devenir des résistants. Les Ryns sont seulement des voyageurs aux dons particuliers. L’idée de les utiliser pour réunir des informations lors de nos voyages s’imposait…

— Jusque-là, nous avons rencontré deux membres de ce réseau : un sur Galantos, qui nous a sauvés d’un piège tendu par la Brigade de la Paix, et Goure, sur Bakura, qui nous a envoyés ici. Il nous a dit…

— … Que quelqu’un vous y attendrait, acheva Droma. Oui, ça leur ressemble.

Du regard, Jaina interrogea son père, qui haussa les épaules.

— Il a toujours agi ainsi. Il faut s’y faire.

Jaina se tourna vers Droma.

— Pouvez-vous nous aider à trouver le Ryn que nous étions censés rencontrer ?

— Je vous ai dit tout ce que je savais. J’étais venu proposer la candidature de ma famille. Nous voulions intégrer le réseau, en signe de reconnaissance envers ceux qui, sur Duro, nous avaient aidés sans exiger que nous renoncions à notre nature profonde. Jouer les héros ne m’intéresse pas. Je veux protéger mon clan. Plus nous aurons d’amis, moins nous serons inquiétés.

— Qu’est-il arrivé ? demanda Jaina.

— On m’a écouté, puis expliqué qu’il n’y a pas de poste libre dans l’organisation. Pas dans notre secteur, en tout cas. J’ai dit que nous étions prêts à nous déplacer, pourtant.

— Pourriez-vous…, commença Leia.

— … Identifier le Ryn en chef ? fit Droma. J’en doute. Il est plutôt… réservé. Et il a de bonnes raisons. Les Yuuzhan Vong ne doivent pas beaucoup apprécier les actions des Ryns.

— Vous ne pouvez donc rien nous dire de plus ? insista Jaina.

— Sinon, je le ferais, croyez-moi. Vous m’avez aidé en me permettant de fuir Onadax. Ça commençait à chauffer pour moi.

— Donc, vous ne savez rien, résuma Leia. Il nous a semblé qu’on essayait d’escamoter des preuves…

— … Des preuves de quoi ?

— De l’existence du Réseau, je suppose.

Droma haussa les épaules.

— Désolé, mais ce ne sont pas mes affaires. Si vous me déposiez dans le secteur de Juvex, je vous en serais très reconnaissant. De là, je rejoindrais les membres de ma famille.

— Si nous allons par là, pourquoi pas ? fit Yan.

— Que veux-tu dire par « si » ?

— Nous ignorons où nous nous dirigerons ensuite.

Droma le dévisagea comme s’il parlait gamorréen.

— Et Esfandia ? C’est bien là que vous allez, non ? Or, Juvex est sur le chemin.

— Esfandia ? fit Yan, sourcils froncés.

— Esfandia est un des deux petits centres de communication situés de l’autre côté de la galaxie, expliqua Leia. Il dessert la Bordure Extérieure. A l’origine, il y en avait un seul, Generis, mais le second a été créé au début de la guerre.

— Pourquoi voudrions-nous aller là-bas ? demanda Jaina.

— Vous ignorez ce qui est arrivé ? fit Droma, l’air réellement surpris.

— Oui, répondit Jaina. Quoi donc ?

— Lors de mon entrevue, j’ai capté un message par hasard… Le Ryn en chef ne fera rien, car il pensait que l’Alliance en avait déjà entendu parler par les voies officielles…

Tous les regards se rivèrent sur Droma.

— Vraiment, vous ignorez de quoi je parle ?

Jaina avança d’un pas vers lui.

— Oui. Et si vous êtes si habile à deviner ce que les gens ont sur le bout de la langue, alors vous savez que je suis sur le point de… !

— Jaina ! intervint sa mère.

Droma gloussa.

— Je vois qu’elle a hérité du « caractère Solo »…, dit-il.

— Tu ne sais pas à quel point, soupira Yan.

Le Ryn se tourna vers Jaina.

— Generis a été détruite par les Yuuzhan Vong, et Esfandia attaquée.

— Quand ? demanda Jaina.

— Hier, je crois.

— Quel rapport avec nous ? demanda Yan. Je connais ce type de stations, le long de la Bordure Extérieure. Elle est probablement automatisée, avec un équipage minimal chargé de superviser les opérations. Si les Yuuzhan Vong l’ont attaquée, elle est déjà tombée.

— Cal Omas a amélioré ses défenses avant que nous partions. Elle résiste peut-être toujours.

— Et dans le cas contraire ? demanda Yan. Quelle importance, si nous perdons le contact avec une partie de la Bordure Extérieure ?

— Generis et Esfandia sont les seuls relais desservant les Régions Inconnues. Toutes les communications qui viennent de l’espace chiss ou qui y entrent passent par là.

Un lourd silence accueillit cette terrible nouvelle.

 

Ils marchaient depuis deux heures. Darak et Rowel avançaient en tête.

Ce n’était pas forcément un problème : il y avait assez à observer. Le tronc de chaque bora, un écosystème en miniature, abritait des dizaines de plantes et de champignons, grouillant de vie – insectes, lézards, arachnoïdes, oiseaux…

Danni s’était plainte, jugeant absurde d’avoir posé l’Ombre de Jade si loin de leur destination. Darak avait répliqué que leur vaisseau n’était pas autorisé près des zones habitées. Il risquait de nuire à l’écosystème de la planète.

Jacen le comprenait. Sa curiosité piquée par une remarque de Luke, il approcha de Darak.

— Mon oncle m’a dit que vous vous souveniez de Vergere…

— Il se trompe. J’étais une enfant quand elle est arrivée avec l’autre Jedi, et mon village se trouvait de l’autre côté de la planète.

L’autre Jedi…

La révélation stupéfia Jacen.

— Votre peuple, alors…, insista-t-il. Vous avez entendu parler d’elle.

— Oui. Dans des récits pour enfants.

Jacen ne se laissa pas démonter par le ton glacial de la Ferroane.

— J’ignore si vous le savez, mais les Jedi ont failli être éliminés, il y a cinquante ans. Ceux qui sont venus ici devaient être formés selon les anciennes coutumes. Si nous pouvions en apprendre davantage à leur sujet…

— Ils n’étaient pas tous formés, dit Rowel. L’un d’eux était un apprenti. Fort, à sa manière, mais sans raffinement.

— Que leur est-il arrivé ?

— Nous sommes des guides, rappela Darak sèchement. Pas des historiens.

— Je sais, mais…

Jacen s’interrompit, distrait par une ombre qui passa au-dessus d’eux.

— Qu’était-ce ? demanda-t-il.

— Un kybo, répondit Rowel. Leurs champs sont tout près.

— Sont-ils dangereux ? demanda Mara.

— Non, assura la Ferroane. Ce sont des dirigeables.

Un instant plus tard, ils sortirent du tampasi, débouchant dans une vaste clairière. Au-dessus d’eux flottaient cinq grands dirigeables.

Des câbles fixés à des racines arrimaient au sol chaque kybo et des gondoles en forme de balle étaient attachées sous leur ventre.

Au-dessus des boras, Jacen vit trois nouveaux vaisseaux. Un autre atterrit au bout du champ.

L’air très industrieux, une trentaine de Ferroans travaillaient dans le secteur, transportant des paniers ou fixant des lignes.

— N’aurions-nous pas pu venir à bord d’un de ces vaisseaux ? demanda Danni.

— Ce ne sont pas des transporteurs, répondit Darak, mais des moissonneurs. Ils récupèrent des produits, au sommet des boras.

Luke, Mara, Saba et Soron arrivèrent dans la clairière, puis approchèrent d’un technicien qui réparait la gondole d’un dirigeable. Le ballon flottait au-dessus d’eux, tirant sur ses lignes d’amarrage.

Jacen ne craignit pas de se placer sous le dirigeable, composé de dizaines de ballons. Pour que le vaisseau tombe, il aurait fallu que tous les ballons crèvent simultanément – un événement peu probable.

Dans la gondole, il faisait sombre. Jacen vit des bancs et de grands paniers en osier, sans doute prévus pour contenir des fruits. Les cloisons étaient humides et côtelées comme du velours. Voyager dans un de ces vaisseaux devait faire penser au ventre d’un whaladon géant.

— Vous êtes son pilote ? demanda Luke au technicien.

— Je m’appelle Kroj’b et je suis son compagnon.

— Son compagnon ? répéta Mara.

— Nous avons une relation symbiotique.

Jacen comprit alors que le dirigeable n’était pas un ballon, mais une créature vivante.

— Comment s’appelle-t-elle ? demanda-t-il.

Kroj’b sourit.

— Elégance Enchâssée.

— C’est un beau nom. Il me plaît.

— On se passera de votre approbation ! lança sèchement Rowel. Venez, maintenant. Il reste un long chemin à faire, et Darak n’attendra pas.

Rowel emboîta le pas à sa compagne, sans vérifier si les étrangers le suivaient. Jacen aurait aimé parler encore avec le « compagnon » du kybo, mais pour atteindre leur destination, ils devaient obéir à Rowel et Darak.

Danni se rapprocha de Jacen.

— C’est incroyable, non ? On dirait que la vie bruisse partout autour de nous !

Jacen regarda un kybo planer au sommet des boras.

— Ça me donne le sentiment d’être tout petit, avoua-t-il.

Et cette idée ne le perturbait pas…

 

A bord du Sélonia, Jaina resta assise à côté de Tahiri pendant le long saut hyperspatial à travers la galaxie. Tandis que Jag se dégourdissait les ailes à la tête de l’escadron, elle montait la garde à côté de son amie. Sur le plan médical, l’état de Tahiri restait stable, mais son amie n’était pas convaincue. Si la jeune femme semblait aller bien, Jaina percevait une perturbation psychique qui s’aggravait avec le temps.

— Vous ne le sentez pas ? demanda-t-elle à Dantos Vigos, l’officier médical en chef du Sélonia, un Duro solennel. On dirait qu’un feu couve en elle…

Sur le front de Tahiri, les cicatrices étaient enflammées.

Vigos regarda les enregistrements.

— Elle ne semble pas avoir de température.

— Je ne parle pas de son corps, mais d’elle.

Vigos ne comprit pas de quoi Jaina parlait.

— Je crains qu’elle ne tombe bientôt à court de carburant. Que lui arrivera-t-il, alors ?

Elle aurait voulu avoir sous la main son oncle Luke, sa tante Mara, ou Cilghal. Eux auraient su quoi faire…

— Jaina… (La Jedi releva la tête.) Je peux vous apporter quelque chose ?

Elle refusa d’un signe. Vigos lui tapota l’épaule et repartit, la laissant seule avec Tahiri. Elle aurait aimé aider son amie, mais personne n’y pouvait rien, excepté rester à côté d’elle et… la regarder décliner.

Non !

Jaina refusait de baisser les bras. Elle ne laisserait pas Riina l’emporter.

Mais que faire ? Tahiri livrait une bataille acharnée contre la personnalité yuuzhan vong que tout le monde, après Yavin 4, avait cru éradiquée…

Impossible de contacter le Faucon ou Soleils Jumeaux pour demander conseil. Tant qu’ils seraient dans l’hyperespace, Jaina était seule.

Elle resta une heure, étudiant les possibilités d’action… Elle tenait la main de Tahiri, sentant la Force quitter peu à peu la jeune femme.

Elle décline, je le sens. Même si ses signes vitaux sont stables…

— Quel est notre temps d’arrivée estimé ? demanda-t-elle à la capitaine Mayn, par le comlink.

— Deux heures avant que nous soyons à portée de détecteur d’Esfandia. Nous sommes dans les temps.

Deux heures…

Ça suffirait peut-être pour faire une différence.

Jaina ferma les yeux, et se concentra sur la fusion mentale que les jeunes Chevaliers Jedi utilisaient pour partager leurs forces au combat. Si Tahiri était en train de perdre la bataille, peut-être lui fallait-il seulement du renfort…

 

Tahiri sentit quelque chose passer au-dessus d’elle, comme si une vague l’avait submergée… Elle refusa de se laisser distraire, de peur de donner à Riina l’avantage dans leur duel. Son univers était réduit à ces yeux verts et aux bourdonnements de leurs sabres laser frappant en parfaite synchronisation… La fatigue l’accablait, mais elle n’abandonnerait pas. Elle ne céderait pas à l’usurpatrice sa place en ce monde.

Elle para.

Mais quelque chose avait changé. Et ses instincts lui soufflaient que ce serait dangereux. Elle ne pouvait pas se permettre de baisser sa garde.

Elle para de nouveau, puis exécuta une botte.

— Tu as senti ça ?

La voix venait de son adversaire, mais lui rappelait désagréablement la sienne.

— Oui, répondit-elle, esquivant un coup de sabre laser.

— Sais-tu ce que c’était ?

Tahiri perçut l’incertitude de Riina. Elle serra plus fort le pommeau de son arme.

— Non, répondit-elle en brandissant son sabre laser au-dessus de la tête de Riina…

… Qui bloqua aisément, comme si elle s’y était attendue.

— Quelque chose vient, murmura-t-elle.

Tahiri aurait voulu regarder autour d’elle. Mais pas question de quitter Riina des yeux.

Elle para.

Riina bondit hors de portée.

— Nous pourrions combattre ensemble, suggéra la Yuuzhan Vong.

Tahiri sentit un froid terrible l’envahir.

— Pourquoi ferais-je ça ?

— C’est ça ou attendre qu’il nous descende, l’une après l’autre. Ça lui serait aussi facile que de chasser des scherkil hla.

Tahiri reçut une image mentale de gros oiseaux incapables de voler, élevés comme source de protéine sur les vaisseaux-mondes yuuzhan vong… Elle se força à la repousser. Ces pensées et ces images n’avaient pas de place dans son esprit.

Elle lutta contre ses soupçons. S’allier à Riina ? Autant lui concéder tout de suite la victoire ! Seule l’intervention d’Anakin l’avait sauvée une première fois de cette personnalité étrangère. Elle ne pouvait plus compter sur lui, puisqu’il était…

Elle frissonna.

Mort.

Anakin ne pourrait plus l’aider. Elle était seule.

Une voix cria son nom, comme venue de très loin…

— Tu as entendu ? demanda Riina. La voix t’appelle. Elle me repousse.

— Pourquoi me veut-elle ? demanda Tahiri, furieuse. Pourquoi pas toi ?

— Je l’ignore, répondit Riina, incertaine.

Elle recula d’un bond.

— Tu sais qu’elle s’en prendra à toi, après !

— Au moins, je n’aurais plus besoin de me méfier de toi.

La voix retentit de nouveau.

— Tourner le dos à un ennemi n’est pas honorable, dit Riina. Ni très pratique !

— Je peux faire face à un seul ennemi à la fois ! répondit Tahiri, forçant Riina à reculer.

Poussée par la Force, elle se déplaçait avec grâce et efficacité. Cela lui rappelant Anakin, elle voulut chasser ses souvenirs. Elle redoubla d’efforts contre son ennemie. Face à face, sabres laser croisés, toutes deux s’immobilisèrent.

L’appel se rapprochait.

Tahiri se retourna. Les ténèbres les entouraient, Riina et elle, comme un brouillard. Mais un voile se dissipa, et une pâle lumière brilla à travers la fente.

— Non ! Je ne te laisserai pas nous tuer !

Riina poussa Tahiri sur le côté et s’enfonça dans le brouillard.

Surprise, Tahiri tomba, se releva d’un bond et la suivit. Elle ne voulait pas faire face aux ténèbres sans savoir de quoi il s’agissait, et pourquoi Riina en avait peur.

Je ne te laisserai pas nous tuer…

Les paroles de Riina la hantèrent tandis qu’elle courait dans l’obscurité, son nom résonnant derrière elle.

 

Pendant le vol vers Esfandia, Leia ne s’occupa pas des commandes. Lutter contre Yan et Droma était épuisant, et vain. Par moments, sans être les meilleurs amis du monde, ils semblaient au moins avoir des affinités. Depuis l’arrivée du Ryn à bord du Faucon, ils bavardaient à bâtons rompus, se racontant leurs aventures depuis leur séparation, sur Fondor. Quand Yan évoqua la mort d’Anakin, Droma quitta la passerelle pour chanter une complainte dans une langue que Leia ne comprenait pas. Puis il revint raconter un de ses exploits dans le secteur de Senex. L’histoire cocasse allégea l’atmosphère.

— Ils se sont mis à démonter le module du réservoir, déclara Yan.

— Qui était plein d’hydrogène liquide, disais-tu.

— Oui, mais détruire le module n’a pas arrêté l’hydrogène qui s’est répandu un peu plus, comme prévu.

— Mais pourquoi ? demanda Droma. L’hydrogène ne brûle pas, sans oxygène.

— C’est ce qu’avait affirmé Bâton d’Or. C’est ça, le problème des droïds : ils n’ont pas d’imagination. Quand nos boucliers ont commencé à faiblir, j’ai demandé à Leia et à Jacen de faire des trous dans la coque du croiseur avec nos quadrilasers. Et il y a rapidement eu assez d’oxygène pour que l’hydrogène réagisse ! Le croiseur a explosé si vite que nous avons eu du mal à éviter les débris. Les quelques skips que nous avons laissés derrière n’étaient plus en état de se battre.

— Ça se comprend. Une fois isolés de leurs yammosks, les vaisseaux vong ne sont plus bons à rien, paraît-il.

— Ils ne sont pas totalement hors service, mais ça nous donne un sacré avantage quand même.

— A propos de yammosks, j’ai entendu des histoires qui te feraient dresser les cheveux sur la tête !

Leia ne participait pas à la conversation, se concentrant sur les informations de Droma : la perte de communications avec les Régions Inconnues, probablement à cause de la destruction de Generis et de l’attaque d’Esfandia. Jadis, ce proto-monde flottant s’était détaché de l’étoile qui lui avait donné naissance. Il gardait en son centre assez de radioactivité pour avoir une atmosphère liquide. Ce n’était pas le plus hospitalier des mondes, mais peu importait. Il suffisait d’une petite équipe de dix personnes pour le maintenir en état de fonctionnement. Depuis que Luke avait abordé les Régions Inconnues, la présence militaire de l’Alliance Galactique dans le secteur était passée à deux escadrons d’ailes X et une frégate. On ignorait ce qui était arrivé à ces détachements. L’équipe du relais avait juste eu le temps de diffuser un message avertissant Mon Calamari qu’elle était attaquée par les Yuuzhan Vong. Puis les communications avaient été coupées.

Ce n’était pas forcément un signe de désastre. Adaptés aux conditions glaciales d’Esfandia, les véhicules impériaux de type AT-AT étaient capables de se déplacer à un rythme lent mais régulier. La station faisait ainsi le tour de la planète et entretenait les nombreux récepteurs hérissant sa surface, pendant que les techniciens restaient à l’abri à l’intérieur.

La base mobile s’était peut-être cachée dans une crevasse ou sous l’atmosphère. A condition de la repérer, la réactiver restait possible. A supposer que les Yuuzhan Vong ne l’aient pas trouvée les premiers, et détruite…

Leia explora mentalement l’espace et envoya ses pensées vers son frère. Le dernier message reçu par Cal Omas annonçait qu’il tenait une piste intéressante et partait voir de quoi il retournait. Mais sans préciser où il allait. Et maintenant, ils ne sauraient rien tant que le réseau des communications ne serait pas rétabli. Si quelque chose de terrible arrivait à son frère, Leia le sentirait, comme par le passé. En tout cas, elle restait très inquiète : tant de choses dépendaient de cette mission !

La conversation entre son époux et son vieil ami changea de sujet quand ils approchèrent de leur destination.

— Dans le mille, déclara fièrement Solo, se préparant à passer dans l’espace réel.

— Et on n’a même pas eu besoin de sortir et de pousser, badina Droma.

— Je suis mort de rire, grogna Yan. Et maintenant, que dirais-tu de déplacer ton amusante personne du siège de copilote, pour que Leia m’aide à quitter l’hyperespace ?

— Inutile, Yan, fit Leia. Je suis sûre que Droma sait se débrouiller.

Regarder Yan et Droma parler ensemble ne manquait pas d’intérêt. Le souvenir de l’époque où Yan s’était éloigné d’elle, après la mort de Chewbacca, blessait toujours Leia. Mais seul Droma en avait été témoin. Si revoir le Ryn rappelait cette période à Yan, il ne le montrait pas.

— Tu te souviens du fonctionnement de la console du copilote ?

— Suivre les ordres, et jurer si quelque chose va de travers, répondit Droma, souriant. Ce qui est invariablement le cas.

Solo affecta un air indigné.

— Mon navire est peut-être vieux, mais…

— Il a ce qu’il faut quand il faut, acheva le Ryn.

— Je t’ai déjà dit de ne pas faire ça !

Droma éclata de rire.

— Ce n’est pas l’âge du vaisseau qui m’inquiète, mais celui du pilote, ajouta-t-il en poussant des boutons.

L’ordinateur de navigation bipa. Ils émergèrent dans l’espace réel. Il n’y avait aucun soleil dans le secteur pour éclipser les étoiles. Le système habité le plus proche était à plus de dix années-lumière, et la première étoile, à cinq. Il n’y avait rien dans ce quadrant, excepté des milliards de kilomètres de poussière spatiale, et une minuscule planète nommée Esfandia.

En tout cas, elle était censée être là. Le Sélonia et l’escadron Soleils Jumeaux sortirent eux aussi de l’hyperespace, et Droma chercha la planète sur les détecteurs. Ceux du Faucon, de meilleure qualité que les appareils standard, ne tardèrent pas à repérer la cible. Elle était entourée d’épais nuages orange foncé – une couleur qui sembla artificielle à Leia, avant qu’elle détermine ce qui lui paraissait bizarre. La planète étant dépourvue de soleil, sa seule source de chaleur était son noyau. Sans orbite à suivre, elle n’avait pas de saisons, et donc pas de pôles ni d’équateur. Il faisait la même température partout.

Pourtant, il y avait des endroits chauds sur l’hémisphère – au moins six, et un autre se créa sous leurs yeux.

Droma examina de plus près la source des taches chaudes.

— Un bombardement, annonça-t-il. Quelqu’un envoie des mines.

— Pour éliminer les détecteurs, déduisit Leia. Les Yuuzhan Vong sont toujours là !

Yan analysa les écrans.

— Sept vaisseaux de grande taille tout près, et neuf croiseurs… Pas beaucoup de skips autour, et aucun signe des défenses locales, ou de renforts de Mon Calamari.

— Je crois savoir pourquoi, lança Droma.

Leia comprit ce qu’il voulait dire. Les forces yuuzhan vong en orbite autour d’Esfandia étaient imposantes, surtout contre les deux escadrons et la frégate qu’Esfandia avait possédés.

— Je croyais que les ressources des Vong commençaient à se raréfier…

Yan grogna. Les lignes de communications se rouvrirent entre le Faucon et ses compagnons. Mayn et Jag demandaient des instructions.

— Dis-leur de rester en arrière pour le moment, ordonna Leia. On ne peut pas affronter tous ces vaisseaux. Ce serait un suicide.

— Mais on ne peut pas non plus repartir comme ça, objecta Yan.

— La base doit toujours être par là, sinon les Yuuzhan Vong ne perdraient pas leur temps à éliminer les détecteurs. Sans la base, les détecteurs ne servent à rien.

— Alors, que fait-on ? Ils vont nous repérer d’une seconde à l’autre…

— Dépassons les grands vaisseaux, et nous arriverons peut-être à entrer dans l’atmosphère puis à localiser la base avant l’ennemi.

— Et ensuite ? demanda Droma. Nous serions dans la même mouise que la base. Les Vong finiraient par nous trouver aussi.

Leia bouillait de frustration. S’ils étaient forcés de fuir Esfandia, ils pourraient peut-être bricoler un autre relais quelque part, pour rétablir le contact avec Mon Calamari.

Mais ça signifierait condamner l’équipe d’Esfandia à une mort certaine. Cela lui rappelait Gyndine, où ils avaient dû abandonner tant de gens.

Il doit y avoir une autre façon de procéder…

Les détecteurs bipèrent, annonçant des ondes hyperspatiales venues de l’autre côté de la planète.

— Des vaisseaux en approche, annonça Droma.

— On avait bien besoin de ça, grommela Yan. Nous devrions penser à battre en retraite…

— Un moment, dit Leia. Je doute que ce soient des Yuuzhan Vong. Envoie un signal urgent sur les fréquences impériales.

— Les fréquences impériales ? répéta Yan.

Puis il vit l’écran, et fit son fameux sourire en coin.

— Ma foi, je n’aurais jamais cru être un jour ravi de voir un destroyer stellaire !

Pas un, constata Leia, mais deux. Ils sortirent de l’hyperespace au-dessus d’Esfandia et déployèrent leurs chasseurs Tie, s’engageant aussitôt contre les forces Vong.

Leia ne reconnut pas tout de suite les destroyers, mais d’après les marques, sur leurs coques, ils avaient été récemment au combat.

L’unité com du Faucon bipa. Yan se hâta de répondre. C’était le Grand Amiral Gilad Pellaeon.

— J’aurais dû me douter que je trouverais le Faucon sur place. Vous êtes toujours là où il y a du grabuge !

— Ravie de vous entendre, Gilad, dit Leia, souriante.

— Pareil pour moi, princesse.

— Vous n’êtes pas à bord du Chimaera, ajouta Yan. Ce vaisseau à l’air trop vieux.

— C’est le Droit de Gouverner, répondit Pellaeon. Un des plus vieux navires de la flotte. Nous avons pourchassé ces misérables à travers la moitié de la galaxie. Hélas, nous les avons perdus au dernier saut. Voilà pourquoi nous arrivons seulement maintenant. Nos données sur vos stations lointaines sont fichtrement périmées.

— Moins bonnes que les leurs, visiblement, dit Leia.

— Nous voudrions que la chance tourne.

— Ravie de l’entendre.

— Vous vous joignez à nous ?

— A vos ordres, Grand Amiral, répondit Leia.

— Je vous assignerai bientôt des cibles. Le commandant Ansween vous les transmettra. (Il hésita.) Il est agréable de nous battre enfin à vos côtés, capitaine Solo.

Yan regarda Leia quand la communication fut coupée.

— Nous prenons les ordres d’un Impérial, maintenant ?

— Les choses ont changé. Il défend un atout majeur de l’Alliance Galactique. Tu ne crois pas que ça lui paraît étrange aussi ?

— J’imagine. Mais je n’ai jamais aimé recevoir des ordres – d’où qu’ils viennent. J’espère que cette nouvelle camaraderie ne lui fera pas croire que ça a changé.

— Je suis sûre que Pellaeon en a conscience, Yan, dit Leia avec un sourire.

L’unité com se réactiva. Une voix de femme en sortit.

— Votre cible primaire est le destroyer Kur-hashan qui abrite un yammosk. Les cibles secondaires sont ses vaisseaux de soutien. Droit de Gouverner, terminé.

Yan saisit le cap dans l’ordinateur.

— Vous avez entendu, Sélonia ?

— Oui, répondit la capitaine Mayn.

— Jag ?

— Soleils Jumeaux attend vos ordres, capitaine, répondit Jag d’une voix calme.

— Allons-nous faire ce que je pense que nous allons faire ? demanda Droma.

— C’est toi qui dis toujours ce que les gens pensent, répondit Yan. Alors ?

— Pas besoin d’être grand clerc pour voir que nous sommes en infériorité numérique. Il est agréable d’avoir de la compagnie, mais ça fait deux destroyers contre seize de ces horribles vaisseaux !

— Je sais, conclut Yan, souriant. Avoue néanmoins que ça pimente la situation !

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